La ville de Saint-Omer et le port de Gravelines

 

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La ville de Saint-Omer et le port de Gravelines

 

JUSTIN DE PAS

 

LA VILLE

DE SAINT-OMER

 

&

 

LE PORT

DE

GRAVELINES

 

 

Mémoires de la Société des Antiquaires de la Morinie

TOME 35

1931

 

 

INTRODUCTION

 

 

            L'expansion commerciale de la ville de Saint-Omer au moyen-âge nécessitait pour elle des débouchés tant maritimes que fluviaux et terrestres. Sa situation géographique qui la mettait à portée de nombreux canaux et des hauts plateaux où s'amorçaient des routes vers les Pays-Bas et vers la France, l'a mise également à portée de la mer, plus particulièrement de Gravelines où s'écoule l'Aa dans un cours de moins de sept lieues.

 

            C'était de là que se trouvait l'avant-port naturel de Saint-Omer; aussi était-il de l'inté­rêt de la communauté des marchands audomarois, d'une part, des marchands forains d'autre part, qui venaient de pays étrangers fréquenter l'étape de cette ville pour gagner les foires de l'intérieur, de trouver un transit libre pour remonter de la mer par cette voie directe.

 

            Ce privilège de transit, la ville de Saint-Omer l'obtint dans une large mesure : il se manifesta d'abord par des exemptions de tonlieu, puis, dès le XVe siècle, par un article de mainmise sur le havre même de Gravelines, à charge de l'entretenir et d'entretenir également la rivière qui y accède. La ville obtenait en même temps la concession de certains impôts dont le principal frappait l'importation du sel, et elle acquérait des terrains et relais de mer dont le revenu devait servir à l'entretien de la voie navigable, rivière et havre.

 

            Malgré cette double source de bénéfices, qui aurait pu devenir plus importante qu'elle ne l'a été par suite probablement, d'une gestion insuffisante, la charge que le Magistrat de Saint-Omer avait assumée était trop lourde; la guerre de Cent Ans avait donné à l'activité du commerce audomarois un coup dont il ne devait pas se relever : il ne cesse de péricliter; le havre de Gravelines, mal orienté, s'ensablait facilement malgré les travaux de dragage, deve­nait de moins en moins praticable et de moins en moins fréquenté; enfin, depuis le milieu du XVIIe siècle, la ville se trouva, par le fait des guerres, dans l'impossibilité de l'entretenir; aussi, en 1720, abandonnait-elle d'elle-même ses anciens privilèges pour laisser au pouvoir central le soin de subvenir désormais, par les travaux requis, aux besoins de la navigation.

 

            Tel est, tracé en quelques lignes, l'histoire du port de Gravelines dans ses relations avec la ville de Saint-Omer.

 

 

Le cours de l'Aa avant le XIIe siècle.

 

            Dès la fixation des terrains qui séparent Saint-Omer du détroit et de la Mer du Nord, la région où se forma l'estuaire de l'Aa a été encore longuement recouverte d'eau à la suite de la grande invasion marine qui a débuté au IVe siècle et dont les effets ont été ressentis jusqu'au XIIe siècle. Le dessèchement a été lent et progressif, et l'écoulement des eaux donna nais­sance à de nombreuses petites branches dont les plus petites se sont elles-mêmes peu à peu comblées.

 

            Dans ces conditions, l'effet des marées, s'est longuement fait sentir jusqu'à Saint-Omer. L'hagiographie mérovingienne nous rapporte que Saint Bertin et ses compagnons installés d'abord à Saint Momelin à la suite de l'appel de leur compatriote Saint Omer, se trou­vant bientôt trop à l'étroit dans leur installation, partirent à la recherche d'un lieu plus propice pour y fonder un monastère. Ils montèrent dans une barque et s'abandonnèrent au gré des flots qui les porta jusque l'île de l'Aa où s'est élevée depuis l'abbaye de Saint Bertin. Or, en fait, ils remontaient le courant de la rivière, mais ne voit-on pas que c'est le flux de la marée qui les guidait ?

 

            Plus tard, au IXe siècle, les habitants qui avaient commencé à peupler la bourgade de Sithiu virent trois invasions des Normands. Une fois, ils avaient remonté le cours de l'Yser; une autre fois ils venaient des côtes ouest de la Morinie; mais, en dehors de quelques points de repère on est loin d'être fixé d'une façon précise sur les lieux où ils débarquèrent.

 

            Peut-on penser, comme l'ont avancé plusieurs de nos historiens locaux, qu'experts à manier leurs bateaux à fonds plats et à s'aventurer sur des courants à faible tirant d'eau, ils aient utilisé la rivière qui, avant de baigner le bas de la hauteur de Sithiu, avait traversé Wavrans où on avait signalé leur présence et la vallée que domine Helfaut, lieu d'un de leurs exploits ? À vrai dire, toutes vraisemblables qu'elles puissent être, on ne peut ici se baser que sur des suppositions.

 

            En tout cas, cette utilisation n'aura été que partielle et accessoire; et aucun texte ne nous permet de croire que les pirates aient remonté la rivière par son embouchure.

 

            Dans aucune de ses parties l'Aa n'était encore canalisée alors, et, de même, l'estuaire n'était guère praticable aux bateaux de quelque importance; encore au XIe siècle, selon que nous le rapporte la chronique de Watten, ses eaux gagnaient la mer par de nombreuses petites embouchures. ( Cf Blanchard : LA FLANDRE, p 277. - Cf aussi ce que dit le Docteur Dervaux dans le travail publié dans ce présent volume " Les origines de la Morinie " p 78. )

 

            En aval de Watten, elles se divisaient en plusieurs branches, et ce sont ces branches qui, peu à peu canalisées, devinrent la Colme, et le canal de Bourbourg et Dunkerque, ou vieille Colme ( anciennement le Monsterlecht ), d'une part; la rivière de Ruminghem, le Mardick et la rivière d'Oye, d'autre part. Le cours principal coulait après Holque, par le lit actuel du Denna, et gagnait Bourbourg, pour se diriger de là à Gravelines par Saint Georges et dans la mer par la crique d'Oye, c'est-à-dire à plus d'une lieue à l'ouest du chenal actuel; et cet ancien lit de la rivière fera plus tard la limite du territoire conquis par les Anglais dans la Guerre de Cent Ans et qu'ils conservèrent jusqu'au milieu du XVIe siècle.

 

            Quant aux autres embouchures par lesquelles s'écoulaient les eaux dans la mer, elles s'ensablèrent progressivement à mesure que s'avançaient les travaux de canalisation, et sur­tout à mesure que s'atténuaient la grande inondation, commencée au IVe siècle avec un sou­lèvement du niveau de la mer, et qui fit sentir ses effets jusqu'au XIIe siècle.

 

 

II

 

a.- Premiers travaux de canalisation. - Conditions de navigabilité à cette époque.

b.- L'ancien port de Mardick. - Sa décadence.

 

            Les premiers aménagements de la rivière d'Aa nous sont relatés avoir été l'ouvre de Baudouin VII, Comte de Flandre, qui , en 1114, rendit la rivière navigable. Mais cette canalisation était encore imparfaite.

 

            Vers 1160, Thierry d'Alsace, dans le but de faire passer la rivière le long de l'agglomération qu'il avait fondée à l'endroit du hameau des Huttes, la détourna de son cours primitif pour la rejeter au nord-est de Gravelines; mais, ainsi qu'il a été dit, cette orientation était aussi peu favorable que possible à l'action des marées qui, au contraire, bien orientée aurait pu dégager l'entrée de la rivière, tandis qu'au contraire, elle ne cessa de l'ensabler. Malgré les multiples inconvénients qui se manifestèrent, cet emplacement mal choisi, ne fut plus modifié avant le XVIIIe siècle.

 

            Il faut donc dater des travaux de Thierry d'Alsace l'origine du port de Gravelines, en tant que port utilisé pour la navigation transitaire.

 

            Tandis qu'avant le XIIe siècle, les seuls bateaux de quatre tonneaux au maxium circulaient dans la rivière et les cours d'eau adjacents, nous voyons que, dans les siècles suivants, les marchandises pouvaient remonter la mer bien avant dans la rivière sans être transbordées ( Cf : Mémoires de la Sociéte de la Morinie - Tome 16 p 336 ), ce qui, toutefois ne doit pas nous donner l'illusion de bateaux de grandes capacités, non plus que d'un tonnage bien important de marchandises amenées ainsi. Ce pouvaient être des barques de moyenne taille, à quille, et qui remontant la rivière sans rencontrer de barrage, cherchaient à profiter de l'afflux de la haute marée pour voguer plus aisément. Et, d'autre part et plus souvent, la trop fréquente insuffisance du bon entretien de la rivière, mettait obstacle au passage de lourds chargements, nécessitait, pour ceux-ci, des transbordements, même en cours de route, et le transport sur les petits bateaux dont l'emploi et l'exploitation étaient devenus le monopole des bateliers " navireurs " de Saint-Omer.

 

            Or, suivant les possibilités de navigation de la rivière, ces transbordements s'effectuaient, soit à Gravelines, où les marchandises étaient protégées par la juridiction de Saint-Omer, que le Comte de Flandre, Guy de Dampierre, avait confirmée en 1282, en déclarant que les bourgeois de Saint-Omer y sont justiciables de leur échevinage en matière commerciale et en matière criminelle; soit à Nieurlet, ainsi que nous l'indique la keure de 1127 ( § 16 ), c'est-à-dire en la banlieue de Saint-Omer.

 

            En effet, si on jette un coup d'oil sur la carte de la banlieue de Saint-Omer, on voit que sa limite passe au-dessous de Saint-Momelin, lieu dit " Le Bac " et au-dessus de l'endroit où se jette la rivière de Nieurlet. De plus, à cette limite se déterminaient, sur chaque rive, les terrains communaux qui avaient été cédés à la ville. Or, cene peut être qu'à cet endroit que pouvait être le lieu de débarquement dit " Nieurlet ", cité dans la charte de Guillaume Cliton.

 

            Ainsi qu'on le verra à la fin du chapitre XX, es premiers travaux de canalisation n'avaient été entrepris qu'en aval de Nieurlet, et même ce ne fut qu'au commencement du XVII e siècle que la rivière fut rendue navigable aux grands bateaux au sortir de la ville de Saint6omer. On pouvait donc prévoir, avant ces travaux, que beaucoup d'entreeux ne pourraient pas la remonter en amont de cette localité riveraine.

 

            Enfin, il ne faut pas perdre de vue que, si l'on doit admettre que les bateaux remontant de la mer étaient à quille, ils ne pouvaient guère avooir accès que sur la dernière partie du cours de l'Aa, d'une part, et, peut-être sur les canaux de la région calaisienne qui ne compor­taient pas de barrages. Mais dès que les bateliers devaient fréquenter le Colme ou les canaux qui la continuaient vers les Pays-Bas, ils étaient arrêtés par des écluses et des " overdrachs ", et nous savons que, pour franchir ces barrages, ils se trouvaient forcés, au XVIe siècle encore, d'employer des embarcations à fonds plats et dont la contenance ne devait pas excéder six tonneaux. De même, au XVe siècle, des bateaux de grand tonnage ne pouvaient pas encore franchir dans toute sa longueur la rivière de Watten à Saint-Omer : un article du compte de l'Argentier de Saint-Omer de 1420 - 1421 nous fait connaître qu'en 1421 il ne fallait pas moins de six bateaux pour conduire à Watten une troupe composée de 50 personnes environ, dont 43 archers.

 

            Il ne paraît pas hors de propos de rappeler ici ces diverses données qui, en fixant l'idée qu'on peut se faire de la capacité des bateaux employés encore au XVe et XVIe siècles, avant l'introduction des bélandres au XVIIe siècle ( il est déjà question dans un acte de nos archives - VI, 13 - du 22 décembre1589, de bateaux nommés « bilander » ou « bilandres » circulant sur la rivière d'Aa ), nous fixe en même temps sur la largeur qui suffisait alors à la navigabilité de la rivière.

 

            Avec les travaux de Thierry d'Alsace, la navigation transitaire dans ce pays utilisait aussi le port de Mardick, qui avait gardé, de la prospérité, qu'il avait dans le haut moyen-âge, une importance qui le mettait au premier rang des ports de cette partie du littoral : mais cette importance ne tardait pas à décliner.

 

            En même temps qu'on achevait le port de Gravelines, on agrandissait, en 1168, celui de Dunkerque : dès lors, la prospérité des ports voisins anéantit le commerce de Mardick : son havre, qui n'était plus que l'ombre de celui qu'avaient creusé les Romains fut abandonné. En 1209 une tempête lança tant de sable dans le chenal qu'en une nuit il se trouva presque comblé.

 

            Ce fut la ruine complète.

 

            D'ailleurs, tandis que l'on pouvait compter sur les eaux du pays pour maintenir, par le jeu des écluses, la profondeur du port de Gravelines et de la rivière d'Aa, les eaux de la petite rivière de Mardick Gracht, qui débouchait dans le port de Mardick, n'étaient pas assez puissantes pour le creuser. Faut-il ajouter qu'on ne le releva pas avant le XVIII e siècle, à la suite du traité d'Utrecht ? Encore accessible à quelques barques de pêcheurs, il avait été rendu, en 1530, complètement impraticable par les méfaits d'une nouvelle tempête ( Cf. de Bertrand : Histoire de Mardick, Dunkerque 1852 ).

 

            Mais revenons au port de Gravelines.

 

III

 

 

Premiers privilèges de la ville de Saint-Omer à Gravelines.

 

            C'est également au moment des travaux de Thierry d'Alsace que ce prince, dans une charte concédée en 1165 aux habitants de Saint-Omer, confirme leur exemption de tonlieu à Gravelines.

 

            Ce privilège leur est déjà reconnu dans la charte de Guillaume Clinton de 1127, et il a été maintes fois confirmé dans les concessions subséquentes. Il y est formellement stipulé que les bourgeois de Saint-Omer sont francs de tonlieu à Gravelines d'où qu'ils viennent et où qu'ils aillent, quelque marchandise qu'ils amènent ou emmènent, sauf le cas où ils décharge­raient leurs marchandises sur place et les y vendraient. ( Je suis obligé de rappeler ici des faits et des actes déjà connus et analysés; mais je ne le fais que brièvement, renvoyant, pour ces privilèges, à l'Histoire de Saint-Omer, de Giry pp. 331 et 335; et à l'Histoire de Gravelines publiée dans le bulletin de l'Union Faulconnier à Dunkerque pp. 216 et 367 ).

 

            Dans un autre ordre d'idées, c'est-à-dire spécialement sur la question de la pêche des harengs, ces mêmes bourgeois surent se faire reconnaître un privilège important. En 1279, le  Comte de Flandre, Guy de Dampierre, avait promulgué une ordonnance restrictive, interdisant à une même personne d'acheter, saler ou exporter en un même jour, plus de 25 000 harengs au port de Gravelines. Or les Échevins, au nom des marchands de Saint-Omer attaquèrent en Parlement cette ordonnance comme ne devant pas être applicable à leurs administrés. Le Par­lement fit droit à leur requête, et, en 1282, le Comte de Flandre, Guy, fit comprendre ce droit dans la confirmation des privilèges des bourgeois de Saint-Omer en Flandre, leur assurant en même temps la libre pratique du port de Gravelines avec les garanties requises pour l'usage de la rivière qui y accède ( Archives de Saint-Omer, 292 1 et 23 ).

 

            Il y était dit, en particulier, qu'ils pourront faire adapter aux besoins de leur navigation les ponts qui leur seront nécessaires sur tout le parcours, sans que l'on puisse leur créer quel­que empêchement.

 

            Malgré ce privilège, la ville se vit opposer, par le seigneur de Watten, Gilles de Haverskerque, la prétention d'empêcher la libre circulation sur la partie de la rivière comprise dans seigneurie. Les contestations sur ces difficultés furent soumises à des arbitres qui affir­mèrent le droit de libre transit de ceux de Saint-Omer; en suite de quoi, Guy de Haverskerque déclara confirmer ses franchises ( Archives de Saint-Omer, Registre en parchemin, fº 72 vº ).

           

            Enfin, la ville de Saint-Omer était aussi exempte, à Gravelines, du droit de lagan, et, d'une façon générale, le tribunal échevinal de Saint-Omer avait le droit d'évoquer devant lui ses bourgeois tant en matière commerciale que criminelle pour faits commis à Gravelines. Ce dernier privilège, concédé par Philippe d'Alsace le 21 février 1165, et, en somme, assez exorbitant en raison du principe général de la territorialité de la justice, s'explique par l'im­portance du commerce maritime exercé au XIIe siècle par les marchands de Saint-Omer utili­sant le transit par Gravelines. Dès lors, le port était considéré comme l'avant-port de Saint-Omer, ce qu'il est devenu réellement depuis, et la ville de Gravelines un prolongement du territoire soumis, en ce qui regarde les bourgeois de Saint-Omer, à la juridiction audomaroise.

 

            De même la rivière de Saint-Omer à la mer, comprenant par conséquent le havre de Gravelines, était sous cette juridiction. On verra toutefois que celle-ci n'englobait que la ri­vière seule à l'exclusion des rives.

 

 

IV

 

 

 XIVe siècle - État de la rivière - Prospérité de la ville de Gravelines -

Sa décadence après 1385.

 

            Le XIVe siècle ne vit que de nouvelles confirmations de ces privilèges. Nous savons par  un  ar­rêt  du  Parlement  de  Paris  entérinant  un  accord  sur  un  conflit  de  juridiction, ( Archives du Nord B 1323, Bulletin de l'Union Faulconnier, 30 juin 1901, p. 215. Cette dernière publica­tion confond ici Robert de Flandre avec Robert de Bar, qui était le petit-fils de Robert de Flandre et de Jeanne de Bretagne, et vivait, par conséquent, un demi-siècle après le travail exécuté en 1335 ), qu'en  1335, Jeanne de Bretagne, femme de Robert de Flandre, seigneur de Gravelines, avait fait réparer le « havene » (  havre ) de cette ville.

 

            Leur fille, Iolande de Flandre, Comtesse de Bar, dame de Cassel, Dunkerque, Gravelines, etc..., conçut, vers 1360, le projet de faire creuser un nouveau canal de Gravelines à l'Aa, avec une écluse d'échappement et un bassin ( Essai historique sur Iolande de Flandre, par le Docteur P. J. E. De Smyttere. Lille. Lefebvre - Ducrocq, 1877, pp 44 - 45 ).

 

            On ne devait pas attendre moins de cette fastueuse princesse dont l'activité s'était manifestée dans tous les vastes domaines qu'elle possédait. ( L'auteur de la monographie ci-dessus donne de curieux détails sur les procédés violents auxquels recourait cette princesse pour faire prévaloir son autorité, en particulier dans sa lutte contre l'évêque, le clergé et le peuple de Verdun. Elle fit forger de la fausse monnaie de France, fit incendier un village, et alla jusqu'à faire disparaître deux chanoines députés vers elle par le Chapitre de Verdun. Le bruit se répandit et la légende s'accrédita qu'elle les avait fait jeter dans un puits qu'on appelle la Fosse-aux Chanoines, au-dessous de son château de Clermont-en-Argonne, forfifié par ses soins. ) Malheureusement ce nouveau projet ne fut pas exécuté, du moins, les travaux entrepris ne furent pas amenés à achèvement.

 

            C'est ce projet que reprendra, en 1638, Philippe IV, ainsi qu'on le verra plus loin, pour une défense stratégique, qui fut bouleversée par les Français en 1644.

 

            Quoi qu'il en soit, nous pouvons dire que les XIIIe et XIVe siècles virent Gravelines prospère. « Gravelines prospéra beaucoup à cause de son port jusqu'en 1383 », dit un mé­moire  de  1845 ( Waguet.- Notice  Historique  sur  le Port de Gravelines.- Saint-Omer, 1845, p. 6  ) : mais à cette prospérité avait succédé une décadence rapide et complète.

 

            De cet état nous avons conservé un tableau précis dans le rapport produit dans une enquête de 1441 ( Archives de Saint-Omer, 210 -27. C'est une information ouverte par ordre du Duc de Bourgogne au sujet des travaux qu'il est nécessaire de faire à la rivière pour empêcher le passage des Anglais et parer aux inondations ), par des témoins appelés à déposer dans [ cette ] information. Nous y trouvons que, encore à la fin du XIVe siècle, le havre de Gravelines était le meilleur de la Flandre après celui de Lécluse. ( Archives de Saint-Omer 210,12. Il s'agit de l'Écluse, ancien port ensablé de Hollande, ouest de l'Escaut. On trouvera plus loin, dans cette étude, mention d'un lieu dit Lécluse ou l'Écluse à Gravelines, lieu d'un ancien fort où une écluse barrait le débouché dans l'Aa du canal venant du Calaisis. Le port de Lécluse sur l'Escaut était très fréquenté, et des canaux le reliaient au réseau qui sillonne les Pays-Bas jusque Saint-Omer. C'est à Lécluse que fut amené par mer, de Pise, en 1467, le mausolée en faïence italienne exécuté pour l'abbé de St Bertin, Guillaume Fillastre, qui l'avait commandé à Andréas Della Robbia ). Alors la marée faisait sentir son effet jusqu'au pont de Watten  : le flux et le reflux créaient dans chaque sens un courant assez violent pour empê­cher l'accumulation des sables. Alors aussi, ajoute le témoin, le havre donnait accès à tous les vins venant de La Rochelle, qui, présentement ( en 1441 ), arrivent à Nieuport, Dunkerque, Étaples; tandis  que, peu  d'années  après  la  prise  de Gravelines par les Anglais, ( en 1385 ) et avant la concession faite à la ville de Saint-Omer, le havre était tombé en telle ruine, c'est-à-dire, s'était tellement ensablé que « quand aucun vaissel y voloit entrer ou en yssir, depuis qu'il avoit prins son yssue ou entrée, avant que il fust venu jusques oud. lieu de Gravelingues  ou  que  il  en  fust  yssu,  il  y  convenoit  pluseurs  marées, et  se  accargoient ( s'attardaient ) de XV ( sic; mais ce chiffre semble exagéré ) jours ou de plus, par quoy aultre part y arrivoit marchandise ... ».

 

            Et cet exemple tiré de la même déposition . . . . « trois vaisseaux chargiez de vin de Poitou furent veus vagans devant led. havene en plaine mer, et samblent que ilz eussent volentiers entré oud. havene, mais ilz ne savoient l'entrée et si ne y avoient lesd. de Gravelingues mis enseignes comme faire doivent. Pour quoy un Franchois estant aud. lieu offry ausd. de Gravelingues, se ilz lui voloient faire aucune gracieuse courtoisie, que il yroit quérir lesd. trois vaisseaux et les amenroit oud. havene, dont ilz de Gravelingues eussent eu proufit et le marché, . . . , mais ilz le reffusèrent du tout : lesd. vaisseaux alèrent pour entrer à Dunckerke, etc . . . ».

 

            Tel est donc le tableau de ce qu'était le port vers 1380, et de ce qu'il était devenu vers 1440. À ce moment, le commerce de Saint-Omer ne profitait plus du havre de Gravelines, et, de plus, l'échevinage Audomarois se plaignait, en outre, que ceux de Gravelines apportaient toutes sortes d'entraves à l'entrée des bateaux qui voulaient se diriger sur Saint-Omer.

 

 

V

 

 

Première moitié du 15e siècle. Creusement d'un nouveau lit de la rivière.

Décadence du trafic de harengs à Gravelines.

 

            Le XVe siècle devait voir de grandes améliorations dans cet état de choses.

 

            En 1402, le Comte de Flandre, Philippe le Hardi, fait creuser un nouveau lit de la rivière, tel qu'il est demeuré depuis, entre Holque et le lieu dit les Hauts Arbres, où, rejoignant la Hem devenue à cet endroit le Mardick, les eaux gagnèrent dès lors directement Gravelines par le cours inférieur de cette rivière. C'était déjà rendre plus directes les communications de l'intérieur du pays avec l'embouchure de l'Aa : mais il fallait encore que celle-ci fût rendue utilisable.

 

            Alors, pour compléter cette amélioration, le Souverain résolut de confier la réfection du havre aux principaux intéressés, c'est-à-dire, au Magistrat de Saint-Omer.

 

            On ne pouvait songer, en effet, à associer à cette entreprise la communauté de Gravelines elle-même. Gravelines, n'était, au moyen-âge, qu'une bourgade de pêcheurs, flanquée, il est vrai, d'un château. Il s'y faisait, en particulier, un trafic important de harengs; mais son importance commerciale et industrielle n'était pas telle qu'on pût attirer un transit de navigation, et, pour ses pêcheurs, l'estuaire de la rivière était toujours suffisant en tant qu'accessible à leurs barques. ( C'est par sa situation militaire, ses fortifications, sa garnison, et ses gouverneurs que Gravelines acquit plus tard quelque importance ).

 

            D'ailleurs, ce trafic de harengs dont Gravelines fut longtemps le principal centre pour les Pays-Bas, commença à baisser avec l'invention de la caque, c'est-à-dire dès le début du XVe siècle. Les autres ports, au nord des Pays-Bas, commencèrent alors à en entreprendre un commerce intensif ( Cf. Pirenne : Histoire de Belgique, II p. 439.)

 

 

VI

 

 

Premiers pourparlers pour céder le port de Gravelines à la ville de Saint-Omer.

Préparatifs de grands travaux de réfection.

 

            Déjà l'on voit qu'en 1426 la Duchesse douairière de Saint-Pol ( Mme de Bar, dame de Gravelines ) ( Bonne de Bar, fille de Robert de Bar, seigneur de Cassel, Bourbourg, Warneton, Dunkerque, Gravelines, fils d'Henri, Comte de Bar et d'Iolande de Flandres, dame des mêmes lieux - voir précédemment . Bonne épouse, le 2 juin 1400, Wallerand de Luxembourg, comte de Ligny et de Saint-Pol, qui était veuf de Mahaut de Roux, et mourut lui-même en mai 1413. Douairière de Saint-Pol, dame de Gravelines, Bonne mourut après 1426, laissant la seigneurie de Gravelines à sa petite-nièce Jeanne. Celle-ci épousa, en 1435, Louis de Luxembourg, qui devint, en 1455, connétable de France et avait, de son côté, recueilli dans la succession de son père, Pierre de Luxembourg, les seigneuries de Ligny et de Saint-Pol ) fait proposer au Magistrat de Saint-Omer d'acheter sa ville ( c'est-à-dire sa seigneurie ) de Gravelines « et il fut résolu d'en parler à M. le Duc de Bourgogne » ( Archives de Saint-Omer d'après le Registre aux délibérations Échevinales A. fº 175 année 1426.- Le registre ne nous est pas parvenu; nous n'en avons que l'analyse dans la « Table des délibérations Échevinales » registre du XVIIIe siècle p. 337. Nous n'avons donc de ces pourparlers préliminaires que la brève mention donnée ici. )

 

            Les pourparlers traînèrent encore en longueur; en attendant, l'urgence des travaux s'accentuait; aussi, le 5 juillet 1440, des lettres-patentes du Duc de Bourgogne, Philippe le Bon, furent concédées aux abbayes de Saint-Bertin et de Clairmarais, au Prévôt de Watten et aux Magistrats des Villes de Saint-Omer et de Gravelines, sur la représentation de ces Corps, imposant une contribution aux habitants de Flandre et Artois pour participer au « nettoie-ment » de la rivière et du havre ( Archives de Saint-Omer, 212, 3 et 260, 3 ); mais il arriva que les habitants des pays de Brédenarde, de Langle, de Ruminghem et de Watten refusèrent de la payer sous prétexte que les nouveaux travaux ne suffisaient pas à empêcher le passage des ennemis ( c'est-à-dire les Anglais ). Par lettres des 15 décembre 1441 et 7 février 1442, Isabelle, fille du Roi de Portugal, Duchesse de Bourbourg et Comtesse d'Artois, s'attacha à terminer amiablement ce différend, et établit ( Ibid. 171, 9 et 210, 24. III, 13 et 14 ), à la charge des villes et villages riverains, une répartition de la cotisation qui devra être payée entre les mais des Mayeur et Échevins de Saint-Omer et employée par eux à l'amélioration si attendue.

 

            Cette cotisation devait être perçue en deux annuités et deux termes annuels.

 

            D'autres lettres de la même Princesse et du même jour, 7 février 1441-42 ( Archives de Saint-Omer, 3,13 ) établissent une série de redevances à percevoir sur les diverses marchandises qui voyageront sur la rivière, afin de procurer à la ville de Saint-Omer la somme de 12 000 F nécessaire pour faire face aux travaux qu'elle s'était engagée d'exécuter. Ces perceptions sont accordées les unes pour deux, d'autres pour quatre ans, sauf prorogation qui pourra être décidée, au cas où les recettes n'aurant pas atteint, dans ces délais, le montant prévu.

           

            C'est dans cette concession que nous trouvons pour la première fois création de l'impôt sur la rasière de sel et de celui sur la chaux, qui seront repris quelques années plus tard pour pourvoir d'une façon régulière à l'entretien de la rivière.

 

 

VII 

 

 

1440.- Convention entre le seigneur de Gravelines, le duc de Bourgogne, et la ville

de Saint-Omer. Celle-ci moyennant certaines cessions, s'engage à refaire le havre

et à l'entretenir. Entreprise des Anglais de Calais contre les nouveaux travaux.

 

            D'autre part, intervenait, le 16 août 1440, un contrat conscrant un accord du 14 avril précédent, par lequel Jean de Luxembourg, Comte de Ligny, seigneur de Gravelines et propriétaire des terrains le long desquels passait l'ancien canal, cédait au Mayeur et Échevins de Saint-Omer, cent soixante mesures de pâtures « pour parmi iceulx pasturages, fouyr et faire prendre cours le havre dudit Gravelinghes qui, de présent est comme tout atterry et de petite valeur . . . le Comte aud. lieu de Gravelinghes commenchans ung peu dessobz de son castel ung fossez nouvel ouquel entreroit la rivière qui flue dud. lieu de Saint-Omer audit havene de la largeur de LVI pies et de longueur IIII c XXXV vergues ou environ de XIII piez la vergue en alant à droit cours si avant que lesdites pastures sont verdes, à partir d'illec sur le sablon où le mer couvre et descouvre chascun jour en rentrant ou cours de lad. rivière et havene assez près de la mer du costé de la justice dud. lieu de Gravelinghes; et, de l'autre costé, seroit délaissé le cours tors et long que le dicte rivière et havene a de présent . . . )

 

            La ville de Saint-Omer s'engage à faire tous les travaux de préservation : « que sur icellui sablon et les dicques dud. havene soit fait, assiz et entretenu ores et en temps à venir tel ouvrage, estaques ou jettée de bois et de terre que mestier sera pour le salvacion et communicacion d'icellui havene . . . ».

 

            La vente est consentie moyennant une rente annuelle de 70 « salus d'or » ( Salut, monnaie qui portait l'empreinte de la vierge recevant la salutation angélique ) que la ville racheta du reste, au bout d'un an, suivant la faculté qui lui en était laissée, au prix de 1 500 saluts. ( Archives de Saint-Omer 211, 1  - Archives du Nord B 1 325 nº 15  749 - Archives de Gravelines AA 3. Voir aussi aux Archives de Saint-Omer un mémoire judiciaire sans date - fin XVIIe - 213, 13. ).

 

            Cette convention fut ratifiée par le duc de Bourgogne par lettres données en son château d'Hesdin le 22 août 1440 : il est à noter que cette obligation de préservation n'est pas applicable strictement au havre mais doit être étendue à la rivière qui y accède. C'est une charge générale d'entretien qu'assume la ville sur toute la rivière qui va de Saint-Omer à la mer.

 

            De plus, une clause de retrait était prévue dans le contrat, « . . . s'il advenoit », était-il stipulé, « que led. havene se rompit ou advint en non valloir, nous ( Jean de Luxembourg - fils aîné de Jeanne de Bar et de Louis de Luxembourg ) pourrons reprendre en nos mains et à notre domaine, s'il nous plaist, les pastures, en tenant quitte lesd. premiers ( Mayeur et Eschevins de Saint-Omer ) de lad. rente de 70 salus ou leur rendre, si rachetée estoit; lad. somme de 1 500 salus . . . ». ( Cette faculté de retrait était primitivement subordonnée à l'inexécution des travaux dans le délai d'un an; ce délai, bientôt jugé trop bref, fut prorogé par lettres subséquentes du duc de Bourgogne des 6 juin 1441 et 21 juin 1442 ( Archives de Saint-Omer, 211,1 ).

 

            Ce sont ces terrains, considérablement accrus par la suite, ainsi qu'on le verra, que l'on connaît sous le nom de hems, hemps ou hems de Saint-Pol, du nom des seigneurs dont ils formaient, du moins à cette époque, le domaine : le de Luxembourg, comtes de Saint-Pol et de Gravelines. ( La seigneurie de Gravelines était, en effet, en ce moment, dans les mains des comtes de Saint-Pol par suite du mariage, conclu, le 16 juillet 1435, de Jeanne de Bar avec Louis de Luxembourg, qui devint connétable de France et mourut sur l'échafaud en 1475, condamné pour crime de lèse-majesté. Le père de Jeanne de Bar, Robert, avait été tué en 1415 à la bataille d'Azincourt, laissant à sa fille ses droits éventuels à la seigneurie de Gravelines. Celle-ci était alors détenue par Bonne de Bar, tante de Robert, qui avait épousé, le 2 juin 1440, Wallerand de Luxembourg, comte de Ligny et de Saint-Pol, dont elle fut la seconde femme. Décédée après 1426, veuve depuis 1415, elle laissa ses seigneuries à sa petite nièce Jeanne. Donc à deux reprises différentes, dans le cours du même siècle, les dames de Bar, dames de Gravelines, épousèrent des Luxembourg, comtes de Saint-Pol ).

 

            Les travaux de réfection imposés par le Souverain à la Ville de Saint-Omer paraissent avaoir été effectués assez rapidement, bien que des difficultés se soient présentées dans le cours des travaux.

 

            Ce fut d'abord, à deux reprises, la rupture du barrage qui retenait l'eau de l'ancien lit avant son déversement dans le lit nouvellement creusé. ( Voir la mention de ces ruptures, plus loin, au § j des articles et dépenses particulières engagées par la Ville de Saint-Omer pour ces travaux ).

 

            Ce fut ensuite une expédition montée par les habitants de Calais et Oye qui, redoutant les conséquences d'une entreprise qu'ils estimaient devoir se résoudre en une concurrence pour le port de Calais et le transit par la rivière de Calais à Gravelines, avaient commencé à s'organiser au nombre de 3 000 hommes dans le but de venir démolir les ouvrages. ( Cf. Archives de Saint-Omer, 210, 7 - C'est une lettre de l'échevinage de Saint-Omer, adressée à un intermédiaire de Calais, et le priant d'intervenir auprès du Gouverneur pour les protéger dans leurs droits, et donner toutes assurances sur le caractère d'intérêt général que présente l'achèvement du havre de Gravelines. ) L'intervention du Gouverneur de Calais, sollicitée par le Grand Bailli de Saint-Omer, arriva néanmoins à arrêter cette menace.

 

            Les dépenses engagées portèrent à plus de 13 000 livres ( Archives de Saint-Omer 210, 12 et 26 ), et une enquête du 19 novembre 1441 ( ibid 210, 27 ) pouvait constater que, depuis que le Magistrat de Saint-Omer avait fait approfondir le dit havre de huit pieds, il avait atteint un tirant d'eau de 18 pieds « de manière que à la basse eau ung navire ayant chargié le pesant de IIII XX tonneaux de vin y peut flotter ».

 

            Toutefois, des différentes données que nous ont laissées les documents parvenus jusqu'à nous, données parfois un peu confuses, il ne nous est pas permis d'affirmer si le creusement du havre nouveau a bien été fait, comme le prévoyait la convention, « en alant à droit cours si avant que les pastures sont verdes, etc . . . », ou bien si l'on ne s'est pas contenté de creuser et d'aménager l'ancien havre.

 

            En effet, d'une part, si l'on consulte les plus anciennes cartes de notre région, et, pour n'en citer qu'une, l'intéressante carte de l'Artois en 1570, dont M. C. Hirschauer nous a donné une reproduction dans le second volume de sa thèse sur les États d'Artois, on y voit très exactement le tracé de l'estuaire conforme à la description donnée ci-dessus, c'est-à-dire aux travaux de Thierry d'Alsace. La ville de Gravelines forme une presqu'île contournée par la rivière qui vient en effet passer au hameau des Huttes et continue à suivre la direction Nord-Est.

 

            D'autre part, la convention de 1440 nous fait connaître que les 160 mesures cédées tiennent « du lez vers Calais au cours que a de présent ladite rivière . . . ( On verra plus loin que les hemps qui s'étendirent à l'ouest jusqu'à la limite du Calaisis firent l'objet de cessions ultérieures ) et, d'autre costé, tenant à la dicque des fossez de la forteresse de ad. ville de Gravelinghes jusques à l'opposite ou assez près d'une tour nommée la tour de Drinckamp... ».

 

            Il semble que pour comprendre et concilier ces divers documents, il faille admettre que c'est au niveau de la ville de Gravelines et en amont que l'ancien lit de la rivière se trouvait plus à l'ouest et a été ramené plus près de la ville.

 

            En tout cas, nous savons de façon certaine que cet ancien lit formait de nombreux méandres qui ralentissaient le cours de l'eau en favorisant l'ensablement, et que les travaux effectués depuis tendaient à les réduire.

 

 

VIII

 

 

Nouvelles cessions à la ville de Saint-Omer qui s'engage à améliorer l'état de la rivière

depuisWatten. Accroissements postérieurs et successifs de hems cédés à la ville

moyennant annuités.

 

            On verra plus loin que le résultat de ces travaux ne donnèrent pas le résultat attendu et que, dès 1451, la Châtellenie de Bourbourg prétendait avoir à se plaindre de l'insuffisance du remède apporté par le nouvel état de choses.

 

            Quoi qu'il en soit, pour assurer la préservation et l'entretien des travaux, le Duc de Bourgogne faisait abandon au Magistrat de Saint-Omer des « sablons et rejets de mer » qui s'accumulaient entre les « hems de Saint-Pol » et la mer. Les lettres patentes du 18 mars 1445, qui consacrent ces donations, stipulent, comme condition, que les produits qui en résulteront seront consacrés à l'entretien du havre, et, s'il reste de l'excédent, il sera réservé à l'appronfondissement et à l'endiguement de la rivière en aval de la seigneurie de Watten.

 

            Quelques années plus tard, à la suite d'une contestation qui s'était élevée entre ceux de Saint-Omer et les ayants cause et héritiers de Jean de Luxembourg, seigneur de Gravelines, Louis de Luxembourg, Connétable de France, délaissa à la ville par tarnsaction du 21 juillet 1466 ( Archives de Saint-Omer, 211, 11 ), datée de son château de Vendeuil, 75 mesures de terres dites « hemps » et pâtures à tenir de lui en censives, moyennant une rente de 72 livres, toujours avec la condition que les recettes qui en proviendront sernt consacrées à l'entretien du canal de Gravelines et la rivière d'Aa.

 

            Or ces lettres furent encore complétées par d'autres du 26 mai 1467 ( Ibid. 211, 11 et 210, 23.- Voir aussi Compte de l'Argentier de Saint-Omer. Registre de 1467-68. Fº 143 vº et fº 144 r º ), de Simon de Luxembourg, Prévôt de la Collégiale de Saint-Omer, qui sanctionne la délivrance de la cession ci-dessus consentie par son oncle ainsi que le bornage qui vient d'en être fait.

 

            Par contre, il est stipulé que la rente annuelle à payer par la ville sera désormais de 80 livres, soit en augmentation de 8 livres sur les 72 livres précédemment convenues.

 

            Enfin, nous savons, par les comptes de l'Argentier postérieurs à 1485, ( cf. en particulier le registre coté 1515-16 - fº 218 vº ) qu'un bornage, effectué en 1485, a révélé, sur les déclarations antérieures, un accroissement de 90 mesures « portant icelluy bournaige et augmentation de IIIIX mesures ».

 

            Ces 90 mesures, soit qu'elles soient provenues de relais de mer, soit de parties de terre non comprises dans les précédentes déclarations, seront désormais comprises dans l'arren-tement payé chaque année par la ville aux ayants cause des Comtes de Saint-Pol. ( Parmi ces ayants cause, on rencontre, en 1520 et années suivantes, la Gouvernante des Pays-Bas, par suite de la confiscation dont la seigneurie a été l'objet pendant plusieurs années. )

 

            Les comptes consignent chaque année le paiement de l'annuité d'arrérages : nous y voyons que c'est la dernière acquisition qui a porté les possessions de la ville de Saint-Omer jusqu'aux limites du pays occupé par les Anglais.

 

            « ... Au recepveur de très illustre dame et princesse Madame l'archiduchesse d'Austrice, régente  et gouvernante ayant la jouissance ( au compte coté 1521-22, il est ajouté ici « par confiscation » ) de la ville de Gravelinghes appartenant à lad. dame de Vendosme par cette ville, paiables au jour Saint-Martin à cause de pastures et ries, tant à l'ung lez comme à l'aultre de la rivière lez lad. ville de Gravelinghes quy ont été acquises et gaingnées tant au moyen des ouvrages factz par cestedite ville ausd. rivière et havre, comme celles que premièrement furent acquises de ( alias « à » ) feu monseigneur le comte de Ligny, et aussy celes prinses à rente au comte de Saint-Pol, connestable de France, comme les 90 mesures prinses à rente par le louaige et augmentation faicte en l'an IIIIc IIII xx et chincq et toutes autres pastures, rietz, mollières, advenues et gaingnées depuis le commencement des prinses, bournages, limitations et augmentations en allant depuis ladite rivière jusques aix palles des Anglois et jsuques aux grosses estacques et palles qui y furent mises et plantées en l'an XVc et XV pour adresch sur lesd. pastures du costé des Angloys et, en retournant au travers de lad. rivière aux aultres pastures du costé de Flandres aultre et par dessus VIII livres monnaie d'Arthois déduictes pour les cinquante trois mesures XXXIIII verghes dont procès est indécis en la Chambre du Conseil de Flandres d'entre deffinct Monseigneur le Comte de Saint-Pol d'une part, et feu Guillaume de Heuchin, d'aultre ...... LIII livres IIII sols ... » ( Compte coté 1527-28 fº 227 vº ).

 

            Cette annuité se paie ponctuellement en ces termes et se retrouve dans chaque compte ( Toutefois la fin de la mention du compte de 1527 n'est pas très claire, et cette obscurité provient dee ce qu'au cours des transcriptions successives qu'en ont donné les comptes annuels elle a subi des déformations ).

 

            Voici, d'après un compte antérieur, comment elle peut être rétablie : « ... chascun an au terme Saint-Martin d'Iver LIII livres IIII soles monnaie courante en Arthois dont se déduit VIII livres dicte monnaie pour le procès indécis etc ... pour raison de partie desd. pastures estans du costé de Flandres; et, depuis, par appointement fait, pour toutes icelles pastures jusques aux grosses estacques mises oud. an XVc XV ... aincoires VIII livres monnaie d'Arthois paiables an aud. jour Saint-Martin d'Iver, qu'y font ensemble .... LIII livres IIII sols. ( Compte coté 1 516-17 fº 201 vº ).

 

            Ainsi d'une part, on retranche de l'annuité 8 livres pour une partie de pâtures, du côté Flandre, sur la propriété desquelles il y a litige pendant; d'autre part, on rétablit une somme identique pour arrentement des augmentations de terrain provenant de relais de mer.

 

            Toutefois, elle ne fut pas toujours égale. De 1485, date du premier bornage, elle porte à 45 livres 4 sols jusqu'en 1515, lorsque fut fait un nouveau bornage ( on trouve plus loin, avec les autres extarits des comptes de l'Argentier, la mention relative à ce bornage ), et constaté un nouvel accroissement des terrains conquis sur la mer. Elle est portée à 53 livres 4 sols. Pourquoi, dans les comptes postérieurs à 1539, l'article porte-t-il le double, soit 103 livres 8 sols, tandis qu'en réalité le ville ne continue à payer que 53 livres 4 sols ?

 

            Ainsi que je l'ai dit précedemment, je ne puis voir là qu'une déformation du scribe provenant d'une erreur matériel dans les transcriptions successives, erreur qui s'est terminée sans contrôle, et ainsi jusqu'en 1639.

 

            À partir de cette année, la mention demeure, mais le débours de la ville est remplacé par le mot « mémoire ». Cette cessation des paiements s'explique en ce qu'elle correspond à la période de l'invasion et de la conquête progressive du pays par les troupes françaises, période de cessation de jouissance de la ville. Il en est ainsi jusqu'en 1683, et jusqu'à cette date les mentions se poursuivent immuables ( on verra toutefois plus loin, mention d'un acte par lequel le Fermier général des Domaines de Flandres réclamait à la ville de Saint-Omer le montant des arréages impayés de 29 années. D'après les comptes, le nombre des années où les paiements n'eurent pas lieu fut plus considérable. Pour faire correspondre les indications, il faudrait penser que l'action intentée par le Fermier des Domaines ait remonté à un certain nombre d'années. Mais, d'autre part, je suis plus porté à voir dans ce terme de 29 années le respect d'une prescription trentenaire, au-delà de laquelle les années n'étaient plus exigibles. La ville obtint, d'ailleurs, main-levée de cette dette en 1686 ), et continuent avec une persistance touchante à consigner la défalcation pour la partie de pâtures litigieuse entre les ayants cause des seigneurs de Saint-Pol et ceux de Guillaume de Heuchin ( Il faut plutôt voir ici une survivance d'une ancienne formule qui, depuis longtemps, ne correspondait plus à une réalité. Notre ancien droit est ainsi plein de survivances analogues de formules qui ne font que rappeler des institutions surannées et tombées en désuétude ).

 

            Ce procès, pendant devant le Conseil de Flandre, fut-il jamais vidé ? Dès la conquête française, l'ayant cause de ces parties est le Roi de France, et c'est au Receveur des Domaines Royaux que la Ville recommencera, à partir de 1683, à payer un droit de reconnaissance de 66 livres 10 sols. Mais alors le libellé de l'article est tout simplifié, et il n'y est plus question de commentaires ou de restriction.

 

            Mais l'accroissement provenant de relais de mer et qui s'élevait déjà, en 1485, à un nombre respectable de mesures, ne pouvait aller qu'en augmentant. Malheureusement, des lacunes de nos archives nous empêchent d'avoir sur ce point des précisions.

 

            Un mémoire judiciaire sans date ( Archives de Saint-Omer 212, 13 ) dressé vers 1684 à l'occasion d'un procès intenté à la Ville et dont il sera parlé à la fin de cette étude, dit que les terres délaissées en 1466 par Louis de Luxembourg, Connétable de France, à la ville de Saint-Omer, « pour les tenir de luy en censive » étaient de « 7 à 800 mesures . . . »

 

            Or s'il s'agit du bornage de 1466 qui ne comprenait, on l'a vu, que 75 mesures, il y aurait erreur flagrante; mais si le mémoire vise l'état actuel, ( en 1684 ) des hems, on pourrait penser à un accroissement qui paraît évidemment énorme au premier abord, mais qui se comprend néanmoins, si l'on considère le travail qui, sur certaines de nos côtes, prend parfois des proportions plus considérables encore. Mais alors, les assertions du mémoire seraient également fausses, sinon sur la superficie des hems, du moins sur leur provenance, puisque l'on a vu que la cession des relais de mer à la ville de Saint-Omer résulte, non de la donation du du de Bourgogne en 1445 ?

 

            On voit par là combien il est difficile de concilier ces textes de dates différentes.

 

            Pour corser encore l'évaluation du Mémoire de 1684, nos Archives nous donnent l'indication d'un arrêt de François de Mardrys, Intendant de la Flandre qui prétendait que le Ville de Saint-Omer lui devait la somme de 6 960 florins, montant de 29 années d'un redevance due pour 12 cents mesures de terres « vulgairement appelées les Hemps de Gravelines ».

 

            Enfin, sur une requête présentée le 8 juillet 1689 ( Archives de Saint-Omer, 213, 9. Cette pièce ne se trouve plus à sa place indiquée, aussi nous ne pouvons en connaître le contexte que par l'analyse qui en est donnée dans l'inventaire ) par le Magistrat de Saint-Omer à l'Intendant contre le fermier des domaines qui prétendait percevoir 4 gros de chaque mesure des « hemps » qu'il évalue à 15 cents mesures, surséance est de nouveau accordée à toute contrainte.

 

            Évidemment, ces diverses évaluations, qui présentent des variantes, bien que faites à très peu d'années  de distance, ne peuvent être considérées que comme approximatives : elles nous édifient néanmoins sur l'importance des accroissements survenus aux superficies primitives.

 

 

IX

 

 

Concession à la ville de Saint-Omer de la « cueillotte » du sel

au havre de Gravelines et d'une autre « cueillotte » sur chaux, grains

et marchandises descendant la rivière par Watten.

 

            Ces ressources n'étaient pas les eules sur lesquelles la Ville pouvait compter pour entretenir de son port.

 

            À la suite de la première donation, le Duc de Bourgogne consentit à la ville de Saint-Omer une autre source de revenus dans la concession du droit de percevoir sur les navires amenant du sel par le havre une redevance dont le montant variait, suivant la qualité, de 12 deniers à 1 sol, à la rasière. Ce droit que nous trouvons avoir été concédé pour la première fois en 1451 ( Lettres du Duc de Bourgogne datées de Terremonde : juillet 1451. Cf. Compte de l'Argentier. Année 1457, fº 135.- On a vu que la concession d'Isabelle de Portugal du 7 février 1442 avait établi un impôt exceptionnel pour 2 ans, sur les denrées, dont le sel, transportées sur la rivière ) pour  dix  ans, était  désigné  dans  nos Comptes  sous  la  rubrique « Cueillotte du sel ». ( Voir dans le dictionnaire de Godefroy au mot cueillette qui est employé dans le sens de collection de tailles, perception d'impôt, les différentes formes qu'il reçut « coulloitte, cuelloite, coillote, cueulotte » etc ) : il était renouvelable et, de fait, a toujours été renouvelé; mais le taux de perception a varié; en 1690, nous le trouvons porté à 1 sol 3 deniers la rasière; en 1701, à 2 sols 6 deniers.

 

            Pendant quelque temps, ces diverses sources de recettes se complétèrent encore d'une « Cueillotte sur grains,cauch et autre marchandises passans par le dam de Watenes et yssans par le havre de Gravelinghes » que l'Échevinage eut le droit de percevoir sur les « denrées chargées et levées au dehors de cette ville » et exportées par la rivière. Cet impôt que nous voyons avoir rapporté près de 500 livres en 1449 ( Exactement 493 £ 8 s de 40 gros de Flandre. Compte de l'Argentier 1448-49, fº 181 vº ) devint vite impopulaire, et contribua à éloigner la navigation de cette voie. Dès 1455, nous voyons que sa perception se heurta à des oppositions qui ne purent être vaincues et qui le firent abandonner.

 

            Voici ce que contient le compte de cette année :

            « De la cueillotte de le cauch et autres denrées passans au dam ( Dam  : digue, batardeau, barrage ) de Watenes et yssans par le havenne de Gravelingues, laquelle cueillotte at esté accensé à Aleame de Lomprey ung an commenché le 1er jour de juillet l'an mil IIII c LIIII et fini le derrain jour de juing l'an mil IIII c et LV pour XII livres de gros monnoie de Flandre, dont dud. Aleame ne at esté receu aucune chose pour ce que, pour le contredit que ont à ce baillé et baillent le procureur de monsieur le bastard de Bourgogne, Jehan Brusset, Pierre le Brasseur, Ansel et Simon de la Mor et autres, lesquels font et ardent leur cauch des bois de mond. seigneur le Duc et d'icelles monsieur le Bastart à cause de sa terre de Tournehem, à laquelle cause ilz ne vueillent rien paier; led. Aleame ne a peu jouir ne quelque chose cueillir ne lever de lad. cuillotte : Duquel contredit Messieurs Maieur et Eschevins sont bien avertis, come dit Led. Alleame et pour ce icy . . . . nénat.».

 

            Dès lors, la Ville abandonna cette recette, d'abord en fait : ce ne fut qu'au bout de quelques années, ainsi qu'on le verra plus loin, que le Duc de Bourgogne consacra, en droit, le retrait de cet octroi.

 

            Voici, en tout cas, ce qu'on lit dans les comptes dès après 1455 :

            « De la cueillotte de la cauch. et autres denrées passans au dam de Watenes et yssans par ledit havenne de Gravelingues, ne a esté aucune chose cueillie pour ce que par mesdi sieurs maieur et eschevins pour certaines causes à ce se mouvans ladicte cueillotte a esté délaissié. Et pour ce, pour l'an de ce compte ... Néant. ».

 

            Et cette même mention de carence se répète consciencieusement dans tous les comptes subséquents pendant plus de 250 ans.

 

 

X

 

 

Autres impôts pour l'entretien du havre et de la rivière.

Droit d'étape de la ville de Saint-Omer sur les marchandises

arrivant par mer à Gravelines.

 

            Une autre recette plus positive provenait à la Ville d'une taxe intérieure, plus pesante pour les bourgeois, d'une maille parisis pour chaque lot de cervoise consommé dans la ville et les faubourgs, et dont le produit devait être appliqué aux travaux du havre de Gravelines ainsi qu'au renforcement des fortifications.

 

            Elle avait été concédée le 3 mai 1467 par Philippe le Bon ( Archives de Saint-Omer, 111, 20 ) et confirmée par Charles le Téméraire ( ibid, 111, 21 ) le 17 juillet suivant; mais elle se révéla impopulaire à un point tel qu'elle compta pour une bonne part dans les causes de mécontentement qui provoquèrent la sédition bourgeoises de 1467 ( Cf. Mén. Soc. Ant. Mor. T 15, pp. 325 et suiv. ). On sait que cette sédition fut suivie d'une régression sévère. En tout cas, l'Échevinage dut refuser d'en envisager la suppression, pour la raison que, déjà obérée par l'obligation de payer l'amende de 20 000 ridders à laquelle était condamnée le Communauté, la Ville ne pouvait se passer de cette recette pour faire face à l'entretien du havre. Il sollicita, au contraire, qu'elle soit raffermie par de nouvelles lettres patentes, et Charles le Téméraire les lui accorda le 6 juin 1468 ( Archives de Saint-Omer, 111, 22 ) en insérant dans les considérants de la concession que, sans cette aide pécuniaire, « led. supplians ne pourraient furnir et entretenir, nredicte ville ... ne autres mises qu'il convient nécessairement faire pour ledit havene de Gravelingues, qui est le principal bien et entretement d'icelle nre ville . . . ».

 

            Désormais, au lieu de cette assise exceptionnelle de une maille par lot de cervoise, la Ville pourra lever pendant 6 ans un denier pour chaque lot de cervoise et 4 deniers sur chaque lot de vin qui se vendra et consommera dans la ville et la banlieue. L'impôt rentre dès lors dans la catégorie des assises dont l'Échevinage demande régulièrement la prorogation.

 

            Il faut enfin rappeler ici deux mesures qui, ayant fait l'objet de concessions postérieures, tendaient à assurer à la Ville la récupération de profits qui devaient lui provenir du fait de l'utilisation du havre et de la rivière, et qui finissaient par lui échapper par suite de fraudes commises à son détriment.

 

            C'est d'abord un acte de Charles le Téméraire du 17 septembre 1470 d'après lequel le Magistrat aura le droit de récupérer certains droits d'assise sur le blé traversant la Ville de Saint-Omer et que les marchands trouvent le moyen de frauder, en faisant contourner par leurs bateaux l'enceinte des fortifications par des rivières détournées. Or la lettre du duc spécifie que les bateaux qui passeront ainsi en dehors de la Ville, par telles voies, paieront à leur entrée en la grande rivière qui conduit au havre de Gravelines la même assise de 4 deniers sur chaque rasière de blé et sur les autres grains comme on paie en la Ville de Saint-Omer « pour convertir à l'entretennement et reparacion desd. rivière et havre ». ( Lettre de « nre Chastel le XVIIe jour de septembre 1470. Archives de Saint-Omer, III, 23. Voir pièce justificative VII. ).

 

            C'est ensuite et surtout la reconnaissance à la ville du droit d' « estaple » des marchandises arrivant par mer au havre puis dans la rivière de Gravelines. Elle est consentie pour la première fois par Philippe de Crèvecour, seigneur d'Esquerdes, maréchal de France, capitaine général de Picardie et Artois, le 22 janvier 1487-88. ( Archives de Saint-Omer, XXXII, 10. Voir aux pièces justificatives ) au cours de son éphémère occupation de notre ville. Confirmée, le 27 octobre 1490 par l'Empereur Maximilien ( Archives de Saint-Omer, IV, 4 ) après le retour de la Ville au Duc de Bourgogne, elle fut l'objet de lettres patentes de Charles Quint du 4 août 1520 ( Gand, 4 août 1520.- Lettres patentes accordant aux bourgeois de Saint-Omer « que toutes manières de biens, denrées et marchandises qui arriveront ou seront amenées au havene de Gravelinghes, estre vendues et distribuées comme il appartiendra ... ». ( Archives de Saint-Omer, Gros Registre en parchemin, fº 221 vº. ) ) renouvelées encore dans les premières années du XVIIe siècle. Or ces différents actes spécifiaient que cette mesure se justifiait par les abus qui s'étaient introduits du fait des habitants des localités voisines de la rivière, qui avaient pris l'habitude de décharger, en cours de route, au détriment de l'étape de Saint-Omer, les marchandises qui leur étaient destinées. Mais la restriction qui leur est imposée par la nouvelle ordonnance leur semble préjudiciable et provoque de leur part des violentes protestations.

 

            Elles aboutirent à une convention du 30 avril 1532 ( Cf. Archives de Saint-Omer, XXXII, 14. ) d'après laquelle la Ville de Saint-Omer reconnaît aux habitants de Bourbourg et Gravelines la faculté d'acheter au havre des marchandises, mais exclusivement pour leurs usages personnels, et sans pouvoir les revendre. Un arrêt du Grand  Conseil de Malines du 26 novembre 1532, homologue cet accord et prévoit, à la charge des bénéficiaires, la production des certificats qui doivent accompagner la marchandise ( Cf. Ibid. Gros Registre parchemin, fº 221 vº et fº 100 rº. ).

 

 

XI

 

 

Mode de perception des divers revenus que la Ville percevait à Gravelines.

 

            Dans les premières années de l'exploitation du havre de Gravelines, nous voyons la Ville faire percevoir par un agent la « cueillotte du sel » : les Comptes de l'Argentier consignaient alors le détail, mois par mois, de la recette. Mais ce mode de perception dut bien vite révéler ses inconvénients, car, désormais, la recette de cet impôt fut affermée et mise annuellement en adjudication. Les prix en furent très variables : mais l'augmentation qui s'est manifestée dans le cours de deux siècles et demi provient de l'augmentation du droit perçu à la rasière, conséquence de la diminution de la valeur de l'argent.

 

            Les hems étaient de même affermés : ici l'on trouve de nombreux occupeurs : l'étendue était, en effet, assez considérable pour subir un lotissement, et le rapport n'a pu d'ailleurs qu'augmenter soit par la majoration appliquée aux tarifs par suite de cette diminution progressive de la valeur de l'argent, soit par l'accroissement de la superficie conquise sur la mer au cours des deux siècles que nous parcourons.

 

            Mais on percevait, sur les pâturages qui s'y trouvaient, des recettes essentiellement variables en louant à l'année, à la saison, ou même pour des périodes plus courtes, le droit de pacage pour les troupeaux, le bétail ou même les chevaux.

 

            Comme cela se pratiquait dans certains des immenses terrains communaux que la Ville de Saint-Omer possédait autour de son enceinte, un garde était préposé au contrôle de l'entrée des bêtes dans les pâturages.

 

            Enfin le Magistrat devait nommer un représentant résidant à Gravelines, chargé de veiller à l'entretien du havre ( Délibération Échevinale du 17 novembre 1441 - d'après le Registre aux Délibarations Échevinales A. perdu. Cf. l'analyse de la Table ).

 

            Voici donc établi un régime de mesures conservatoires administratives et financières dans lesquelles l'on pouvait espérer trouver des garanties sérieuses et durables.

 

            La Ville de Saint-Omer, la première intéressée à favoriser le transit par sa rivière, aura désormais son port maritime. C'est dans ce sens que l'on peut lire dans un grand nombre de textes que la Ville est propriétaire de la rivière et du havre de Gravelines.

 

 

XII

 

 

Nature des droits respectifs de la Ville de Saint-Omer et de la Ville de Gravelines

au havre de Gravelines. Le droit du « Capitaine » prétendu par ceux de Gravelines.

 

            En 1605, le Magistrat produit à la Chambre des Comptes de Lille une attestation établissant que le havre et la rivière de Gravelines appartiennent à la Ville de Saint-Omer et sont entretenus à ses frais, et une sentence du Conseil de Malines lui reconnaissant cette propriété. ( Archives de Saint-Omer. Gros Registre en parchemin, fº 71 vº. Cf. Mén. Soc.  Ant. Mor. T 15, p 206, nº 351. V. aux pièces justificatives, pièce X. )

 

            Quant à la ville de Gravelines, elle conservait pour ses habitants le libre usage du havre, ainsi que le droit de lever tonlieu sur les bateaux et marchandises que n'exemptaient pas les privilèges de la Ville de Saint-Omer.

 

            Ces droits étaient d'ailleurs antérieurs à la mainmise de la Ville de Saint-Omer sur le havre et le régime nouveau n'y avait en rien dérogé.

 

            Toutefois une difficulté s'était élevée entre les deux villes à la suite de la prétenton de Jehan de Sainte Aldegonde, lieutenant du capitaine de Gravelines pour Jehan de Luxembourg, d'exiger des bourgeois de Saint-Omer, sous le nom de droit du capitaine, un impôt sur certaines  marchandises  passant  par  le  havre. Un arrêté du 21 août 1481 du Grand Conseil  ( Archives de Saint-Omer, Grand Registre parchemin, fº 220. Mém. Soc. Ant. Mor; T 15, p. 180, nº 268 et T 16, p. 118 ) le déboute de cette prétention, reconnaissant en cette matière, comme ailleurs, les privilèges et franchises de ceux de Saint-Omer.

 

            Par contre, on trouve à diverses reprises que la Châtellenie de Gravelines est comprise dans les Châtellenies de West-Flandre qui participent à certains travaux de préservation contre les inondations.

 

            Enfin, je cite, plus loin, un texte qui nous montre la coopération de l'Échevinage de Gravelines dans les frais d'éclairage de l'entrée du port, dont la signalisation nocturne devait, en effet, être aussi utile aux petits bateaux de pêche qu'aux autres navigateurs.

 

 

XIII

Malgré ces travaux le havre de Gravelines n'acquiert pas

de notable activité commerciale.

 

            Peut-on penser que la mainmise sur le havre de Gravelines ait suscité pour la Ville de Saint-Omer une augmentation notable dans l'activité du commerce maritime ?

 

            À vrai dire, les textes ne nous permettent pas d'émettre une telle conclusion. Au moment où s'élaboraient les conventions qui ont favorisé l'exploitation de ces privilèges, on se trouvait à la fin de la guerre de cent ans et l'on pouvait espérer que la prospérité commerciale d'antan, c'est-à-dire des XIIe et XIIIe siècles allait renaître.

 

            Malheureusement on sait qu'il n'en fut pas ainsi; l'industrie de la draperie et, par suite, le commerce des laines avec l'Angleterre ne se relevèrent pas : d'autre part, les textes continuent à nous montrer que, même pour les vins, l'importation continua à se faire, pour une forte proportion, par les ports de Lécluse et de Calais.

 

            D'autre part, nous ne trouvons pas que des bourgeois de Saint-Omer se soient livrés à l'armement de navires pour la navigation maritime. Tous les textes, règlements et témoignages divers d'associations organisées ne nous parlent que de la navigation fluviale.

 

            J'avoue n'avoir rencontré, dans cette période d'exploitation par la Ville du port de Gravelines, qu'une seule mention d'un bourgeois de Saint-Omer, armateur, et encore est-ce à une époque avancée, en 1622, au sujet de la proposition de l'espagnol Diego Lhermite de venir prendre du service avec quatre navires de l'escadre du roi Philippe IV ( Lettre de l'Infante Isabelle à Philippe IV du 10 novembre 1622, publiée dans la « Correspondance de la Cour d'Espagne sur les affaires des Pays-Bas au XVIIe siècle » Tome 2 p. 111 - Publication de l'Académie Royale de Belgique, in 4º, 1927 ). Or on trouve que ces navires appartenaient à Nicolas Van Merstraeten, bourgeois de Saint-Omer, et à Corneille Janssen Lisbon, bourgeois d'Anvers. Mais, encore ici, on voit bien qu'il n'y avait pas à Saint-Omer même de centre d'opérations d'armement. Ce Nicolas Van Merstraten, riche bourgeois avait vraisemblablement engagé une partie de ses capitaux dans une entreprise qui fonctionnait, en réalité, dans un grand centre maritime, Anvers. L'association, dans ce texte, de sa qualité de bourgeois de Saint-Omer à celles de ses fonctions d'armateur, ne peut vraiment permettre de tirer d'autre conclusion.

 

 

XIV

 

 

LA RIVIÈRE D'AA

     a.- Travaux effectués par la Ville de Saint-Omer à la rivière d'Aa depuis le XIIIe s.

     b.- Personnages de marque qui passèrent par cette rivière dans la première moitié du

           XVe s.

     c.- Contributions des Châtellenies et Seigneuries riveraines aux travaux de la rivière.

     d.- Projet non réalisé d'un nouveau havre ( 1519 - 1529 ).

 

            Il n'a été parlé jusqu'ici que des travaux du « havre » de Gravelines; mais le havre lui-même ne pouvait être utilisable et profitable à la Ville de Saint-Omer qu'autant que la rivière qui y accédait était maintenue en bon état d'entretien.

 

            Il y avait intérêt pour elle à la maintenir en état navigable et à parer aux inondations des terres riveraines : endiguements, coupage des herbes qui envahissaient les rives; curage, dragage, etc ...

 

            Mais déjà, avant d'en prendre définitivement la charge, elle avait été amenée à y pourvoir pour permettre aux bateaux des marchands de l'utiliser et de remonter jusque chez elle.

 

            L'urgence de cette intervention est exposée dans une requête du Magistrat à la Comtesse d'Artois dans laquelle il lui remontre à la date du 8 mai 1316, « les frais et cous qu'il leur a tenu de nécessité fere pour fouyr, pour rejeter et retenir net et délivré le cours de la rivière qui y vient de Gravelingues, pour ce que plus seurement li bien et li marchandises y puissent venir et aler, qui autrement sans grant travail et coust, et, aucunes fois pareille desdites marchandises n'y pooient mie boinement venir, pour les empeschemens qui en ladite rivière estoient creu et multiplié pas eslavaisses et par autres accidents . . . » ( Archives de Saint-Omer, XXXIII, 10. ). En conséquence il demandeà augmenter le tarif du droit perçu sur les marchandises arrivant par eau, comme cela été fait précédemment en vertu d'un octroi semblable concédé par le Comte d'Artois, père de Mahaut, et qui remontait donc à la fin du XIIIe siècle.

 

            Le 16 juin 1353, Jean, roi de France, sur une requête analogue des Mayeur et Échevins de Saint-Omer, consent à la Ville, pour une période de dix ans, la prolongation du droit d'assise qui lui a été accordé précédemment et le porte même au double, à condition que le produit en soit appliqué intégralement à la réparation de la rivière qui a été très endommagée dans son cours du fait des guerres ( Archives de Saint-Omer, I, 8. Original parchemin, daté de Vincennes, « apud Nemus Vincenarum », Latin. ).

 

            Le 30 mai 1441, Jean sans Peur, duc de Bourgogne, confirme cette concession « tant comme nous serons vivant » ( Archives de Saint-Omer, II, 20 ), ajoute-t-il.

 

            Enfin, le 31 décembre 1428, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, dans un renouvellement de concession d'octrois pour une période de 12 ans, comprend dans les travaux à exécuter par la Ville « grandes et hastives réparacions tant pour la forteresse qui est en grandt ruyne comme pour la rivière qui est le principal bien d'icelle nre ville laquelle en grande partie n'est encore curée ne nettoyée ... en quoy convendra faire très grant mise ... » ( Archives de Saint-Omer, III, 11 ).

 

            En fait donc, avant d'assumer l'entretien du havre de Gravelines, la Ville pourvoyait, ou était censée pourvoir à celui de la rivière au moyen de concessions temporaires d'impôts.

 

            Ces travaux de curage et de nettoyage, elle avait d'ailleurs un intérêt particulier à les faire, d'abord en vue de l'importance qu'il y avait pour elle à trouver une voie d'eau utilisable pour ses débouchés, puis pour favoriser sa corporation de Bateliers ou navireurs qui exploitait, à l'exclusion de tous autres, le service des transports sur la rivière.

 

            Cette corporation, puissante par son influence ainsi que par le nombre de ses membres, ( Un document postérieur, il est vrai, puisqu'il est de 1602, nous fait connaître qu'à cette époque le nombre des compagnons bateliers était supérieur à cent vingt - Cf. Archives de Saint-Omer, Correspondance du Magistrat. Liasse des années 1602 - 1603, nº 197 ) avait bien qualité pour réclamer de l'Administration municipale des mesures favorisant la navigation : et c'est ainsi que la Ville ne pouvait se désintéresser de l'industrie de ses bourgeois, et, par suite, de l'état de la rivière, même avant d'en avoir expressément la charge.

 

            Mais, désormais, l'engagement qu'elle prend est plus large et plus définitif.

 

            Dans les documents, comptes et chartes, les travaux de la rivière se trouvent alors mêlés à ceux du port auquel elle accédait, de sorte que l'historique des travaux qui y ont trait ne peut guère être séparée de l'historique même du havre. Il offrait ceci de particulier que, suivant les endroits où se manifestait l'urgence d'une réparation, ceux de Saint-Omer demandaient ou faisaient demander le concours financier des riverains intéressés. C'étaient, d'une façon à peu près constante, l'Échevinage de Bourbourg, le prevôt de Watten, et, en raison de leurs seigneuries et de leurs possessions, les Abbayes de Saint-Bertin et de Clairmarais, et, enfin, les Chanoines de Saint-Pierre d'Aire ( Ceux-ci avaient, en particulier, près de Watten, la seigneurie de l'Overdrach - Cf. Mém. Soc. Ant. Mor. X, 2e partie, p. 76 ).

 

            C'était là, comme on peut le penser, une source intarissable de contestations, de procès et de transactions ou appointements. On en trouve des traces dans nos Archives, particulièrement dans la première moitié du XVIe siècle ( V. en particulier Archives de Saint-Omer, nº 208, 5; la Table des Délibérations Échevinales, fº 110 et fº 121; et dans la Table alphabétique ( en 3 volumes ) des Archives de Saint-Omer à l'article Gravelines. ).

 

            Nous savons toutefois que, dans les années qui précédèrent la prise en charge par la Ville de ces travaux, la rivière était suffisamment navigable jusqu'à Saint-Omer pour que l'on y fasse passer des personnages de marque.

 

            Le 25 décembre 1438, la duchesse de Bourgogne, qui était allée à Gravelines prendre part à des négociations d'un traité avec l'Angleterre, vient en bateau à Saint-Omer où elle arrive le soir et est reçue à la lueur des torches ( Bull. Soc. Ant. Mor. T XII, livre 221. ).

 

            Le 14 novembre 1440, Charles d'Orléans, de retour d'Angleterre où il avait été retenu prisonnier depuis la bataille d'Azincourt, arriva par la même voie de Gravelines à Saint-Omer ( Chronique d'Alard Tanar. Cf. Bull. Soc. Ant. Mor. T XV, livre 282 ). Il y fut reçu à l'abbaye de Saint-Bertin, et c'est dans l'église du monastère que fut célébré, le 17 du même mois, son mariage avec Marie de Clèves.

 

            En 1441, peu après la réfection du havre, l'on se préoccupa de travaux à faire à la rivière du côté de Gravelines pour compléter le travail et, aussi, pour raisons de défense militaire. En effet, nous connaissons par une enquête ( Archives de Saint-Omer, 210, 27. V. aux pièces justificatives la trancription in extenso du texte. ) ouverte par ordre du duc de Bourgogne sur la nécessité de travaux à effectuer, que ceux-ci étaient prévus dans le but d'empêcher le passage des Anglais en même temps que de parer aux inondations.

 

            On avait, en effet, lieu de redouter l'invasion, en Flandre, de ces voisins de l'ouest qui occupaient le Calaisis, et il est dit qu'il serait avant tout nécessaire de « drechier la rivière qui maine dud. Saint-Omer à Gravelinghes depuis un lieu que l'en appelle Mardicquehoucq où sied molin jusques ou passage où passent les cars lez le chastel dud. Gravelingues ... ».

 

            Il s'agissait de supprimer un passage qui se trouvait guéable à basse mer. L'expert consulté  ajoute  qu'après  avoir  ainsi  redressé  la rivière et facilité le cours rapide de l'eau il « ... convenroit parfaire l'ouvrage de ducres ( un ducre - en flamand duiker - est un aqueduc. ici il doit évidemment s'agir de fossés latéraux pour l'écoulement des eaux qui pouvaient déborder ) et veldams ( veldam - en flamand veld (d,am) : digue protectrice contre l'incursion des eaux d'inondation. ) ... afin que ladicte eaue douche venant d'amont ne se peuist esparder et prendre long cours; et, ce fait, il s'oserait bien faire fort que n'y porroit-on paser à pie[d] ne à cheval sans noer ( se noyer ). »

 

            On a vu précédemment qu'à ce moment les riverains avaient été « cotisés » sous la forme d'un impôt spécial sur le transit, pour participer aux dépenses.

 

            Mais, déjà en 1451, nous trouvons traces de plaintes de la Châtellenie de Bourbourg, plaintes se basant sur ce que les travaux effectuées par la Ville de Saint-Omer au havre de Gravelines n'avaient abouti qu'à endommager les digues que les habitants de cette Châtellenie avaient fait élever contre l'envahissement des eaux et à favoriser de nouvelles inondations.

 

            Agissant alors d'une commune main, les Châtellenies de la West-Flandre intentèrent un procès à la Ville de Saint-Omer devant le Grand Conseil pour obtenir réparation des dégâts. Et c'est dans l'exposé de leurs doléances ( Lettres de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, du 17 juin 1451, mandant à ses Maîtres de Requête d'évoquer devant le Grand Conseil les représentants des Châtellenies de West-Flandre, d'une part, et ceux de la Ville de Saint-Omer, d'autre part, pour vider un procès en réparation des dégâts d'inondation intenté par les premiers, contre les seconds. Cf. aux Pièces justificatives, pièce IV. ) que nous                                                 les voyons accuser cette ville d'avoir fait effectuer ses travaux de 1441 « par gens que nullement en telz ouvrages ne se cognoissoient ne congnoissent » et « ... sans ce que ilz aient fait entretenir ne acomplir lesd. ouvrages, testes, veldams ne ducres lors fais ou devisés, ne que lesd. passages et avenues desd. Anglois par led. havre soeint rompus ... ». Enfin ils constatent que c'est du côté de la terre d'Oye, occupée par les Anglais, que les terres se sont trouvées exhaussées du fait des travaux effectués par la Ville de Saint-Omer, et que, par suite, les eaux se sont répandues du côté est de la rivière, ont raviné, abattu et emporté les digues et « ducres » et par suite envahi les terres dont bon nombre étaient cultivées. Ils demandent en conséquence que la Ville de Saint-Omer répare le dommage et ne néglige plus, comme auparavant, d'entretenir les ouvrages de défense contre les inondations du côté de la Châtellenie de Bourbourg.

 

            Il est probable que l'enquête prescrite par le Duc et la poursuite des requérants durent suivre leur cours, et que satisfaction fut donnée, au moins dans une certaine mesure, à la partie lésée.

 

            Quelques années plus tard, vers 1467, à la suite de la convention du 16 juin 1466 qui laissa à la Ville une nouvelle superficie de Hems, il est encore question de travaux analogues. Ce sont encore les riverains de Bourbourg, puis ceux du pays de Langle et de Ruminghem qui requièrent un redressement de la rivière à ce même endroit où on a travaillé en 1441 : ils demandent cette fois que « soit trenchiet, entre Mardichoucke et Gravelinghes, l'angle nommé le Zwaelwehouc et que plusieurs regets de mer à l'un et l'autre lez de la rivière soient ostés, etc ... » ( Archives de Saint-Omer, 210, 8. - La terminaison houc et houcke dont ces noms de lieux de forme flamande signifie protubérance dans la rivière causée par les alluvions. )

 

            Il y aura encore lieu de construire, comme précédemment, des travaux d'endiguement par le moyen de testes ( pieux maintenant la rive ), ducres, ( aqueducs ), veldams ( digues ) : le Magistrat de Saint-Omer offre de payer le quart de la dépense à condition que le reste soit supporté par les requérants ci-dessus et l'abbaye de Clairmarais.

 

            Ceux-ci acceptent cette cotisaton à condition qu'ils soient déchargés de l'impôt dont le duc de Bourgogne avait frappé les blés, grains et marchandises transportés de la Châtellenie de Bourbourg par le dam de Watten et le havre de Gravelines. Cela leur fut accordé d'autant plus facilement que la perception de ce droit avait été, en fait, suspendue depuis 1456, par suite des oppositions qui s'étaient manifestées.

 

            Nous voyons ensuite qu'en l'an 1500, à la réquisition des Abbés de Saint-Bertin et de Clairmarais, du Prévôt de Watten, des Chanoines de Saint-Pierre d'Aire et, enfin des Échevins   de   Bourbourg,   la  Ville  consent  à   employer  800  livres   à   réparer  le  havre ( Délibération échevinale du 6 mai 1500. Registre F. Fº 116 et suiv. ); mais les requérants n'ayant pas consenti à payer leur quote-part, on fit cesser les travaux ( délibération échevinale du 19 novembre 1500. Registre F. fº 121 et suiv. )

 

            En septembre 1508, une forte tempête, accompagnant une haute marée, causa de grands ravages qui endommagèrent les digues de la rivière et du havre, et eurent leur répercussion sur toute la région côtière qui fut inondée. Le Magistrat de Saint-Omer fut invité à participer, par ses représentants, à une grande enquête qui se fit à Gravelines devant les délégués du Conseil de la Chambre en Flandre « pour visiter les infractions et romptures des dicques et dunes de la rivière et havene de Gravelinghes »; après quoi des Commissaires échevinaux furent convoqués à Bruxelles par ordre de la régente, Marguerite d'Autriche, pour comparaître devant le Lieutenant Général des pays de Flandre et d'Artois, Monseigneur de Fiennes, assisté d'autres Conseillers de l'Empereur, arrêter devant eux les travaux nécessaires de réparations et fixer l'appointement à apporter par les localités riveraines ( Cf. Registre de l'Argentier de Saint-Omer, cote 1508 - 09 - anc. st. - fº 163 et fº 165 ).

 

            Le Compte de l'Argentier de l'année 1518 - 1519, nous fait voir encore ( fº 227 à fº 232 ) qu'à la suite d'avaries nouvelles, une enquête analogue fut provoquée par ordre de la Régente. Des experts appelés ne parlent-ils pas déjà d'un « nouveau havene et fouich que veulent faire ceulx du West-pays de Flandre ? ».

 

            Ce projet d'un havre nouveau demeura encore en suspens, et, pendant quelques années, à la base des difficultés soulevées par les Châtellenies de la West-flandre. Particulièrement, en 1529, elles le réclamèrent, prétendant que les préservations contre l'inondation de leurs digues entre Gravelines et Mardick ne pouvait être assurée qu'en reportant le havre bien à l'ouest, du côté même des « limites des Anglais » ( Comptes 1529 - 30 fº 226. )

 

            La Ville de Saint-Omer accepta cette suggestion, ( Délibération échevinale : Analyse d'après le registre G. perdu, fº 164 : « Difficulté avec ceux de Bourbourg par rapport au havre de Gravelines. Il est résolu d'en faire un nouveau entre le Vierboute et le Nordporte de cested. ville en allant de droit fil au travers des pâtures et hemps de St-Pol appartenans à la Ville de Saint-Omer jusqu'au lieu nommé Valkenhil, qui seroit de moindre entretenue et dépense, puisqu'il n'aurait que 900 evrges et qu'il y viendrait toutes sortes de navires qui n'y arrivent qu'à haute marée et à grand danger. Le Magistrat  consentit à faire led. nouveau havre sans préjudice à ses privilèges » - Table des Délibérations du Magistrat, p. 340, d'après le Registre G. perdu, année 1529 fº 119, fº 124 et fº 128 - ) mais en subordonnant cette acceptation au consentement, par ceux qui la sollicitaient, d'une contribution à la dépense. En effet, par ses députés envoyés à ces fins, elle prétendit « induire iceulx des pays de Flandres, Furnes, Dixmude, Bourbourg et Berghes Saint-Winocq à contribuer aux despens pour le nouveau havene, qui lors estoit mis en terme de faire à Gravelinghes sur les limites et marches des Engletz, etc ... » ( Comte 1529 - 30 ).

 

            Mais ces Châtellenies refusèrent toute subvention entendant par lesdis impétrans que c'estoit à faire ou y contribuer par cesd. Ville de Saint-Omer, sur laquelle contribution ne fut persisté ... » ( Archives de Saint-Omer, 208, 5. V. aussi Grand Registre en parchemin fº 201. )

 

            Finalement, le règlement de cette difficulté se fit en un accord intervenu en 1530 par lequel les Magistrats de Saint-Omer et de Bourbourg établissaient leurs interventions réciproques dans l'entretien du canal, de la dune et digue entre Gravelines et Mardick et, généralement, dans les travaux destinés à préserver des inondations le pays à l'est de la rivière. ( Compte de l'Argentier, 1529 1530, fº 228 vº ).

 

            Une délégation de l'Échevinage Audomarois dut se rencontrer avec des députés de Bourbourg pour « estre présens à mettre et planter ung bourne d'un gros tronchon de quesne sur et au bout du Zoodicq, faisant fin de la monstre et longheur de l'entretement que mesd. Srs ( de Saint-Omer ) sont tenus et submis faire aud. havene ... »

 

            Et, bien entendu, il ne fut plus question d'un havre nouveau.

 

            Enfin, en 1594, à la suite d'avaries survenues à la digue de Gravelines, nous voyons le Gouverneur et le Magistrat de cette ville prétendre contraindre ceux de Saint-Omer à contribuer aux dépenses de réparations. Mais l'Échevinage Audomarois, arguant de la charge qu'il avait assumée de l'entretien de la rivière et du havre, répondit que, par contre, ses privilèges devaient l'exempter de cette contribution, et que c'était « aux quatre Membres de Flandre », c'est-à-dire aux Châtellenies de la Flandre Maritime que la ville de Gravelines devait s'adresser. ( Cf. Correspondance du Magistrat de Saint-Omer, année 1594, pièces cotées 7 319 - 7 458 - 7 488. )

 

            L'affaire fut portée devant le Conseil Privé et résolue dans ce sens, mais toutefois sous forme de transaction par laquelle la ville de Saint-Omer apportait tout de même une modeste contribution, toujours sans préjudice du principe de non-intervention qui devait demeurer intact.

 

 

XV

 

 

Droit de juridiction de la Ville sur la rivière.

 

            Comme conséquence de la propriété qui lui fut reconnue sur le havre et la rivière, la Ville avait sur celle-ci un droit de juridiction, mais il avait ceci de particulier qu'il ne s'appliquait qu'à la rivière, et non à ses rives : c'est ainsi qu'on verra plus loin, ( p. 32 ) dans la suite des extraits de comptes de l'argentier relatifs à la rivière, au paragraphe i, la ville faire un exploit de police sur les rives de la rivière contre des malfaiteurs qui rançonnaient les malheureux bateliers : or ils ne peuvent aller au-delà de la Morquines c'est-à-dire des limites de la banlieue de Saint-Omer. Au-delà, ce sont les seigneurs riverains qui ont la juridiction. S'agit-il au contraire d'exploiter la rivière elle-même, ( c'est dans l'espèce, un « escauwage », reconnaissance judiciaire du corps d'un noyé ), la ville est compétente. Un arrêt du Grand Conseil de Flandre du 22 août 1431, à la suite d'une difficulté avec les religieux de Watten, reconnaît formellement que l'Échevinage de Saint-Omer a « droit d'eschauwage et du gouvernement de la dicte rivière jusques en la mer ... » ( Archives de Saint-Omer. Registre parchemin, fº 131 vº. Mém. Soc. Ant. Mor. XV p. 165 ).

 

 

XVI

 

 

Droit de « cueillote » et de tonlieu perçus au lieu dit l'Écluse

sur les marchandises arrivant de Calais au havre de Gravelines par Marck,

Oye et l'Écluse qui a donné son nom au fort et au lieu sis à cet endroit.-

Voyages royaux en 1480 et 1520 de Calais à Saint-Omer par cette voie.

 

            En raison de son droit de propriété sur les hems et le havre de Gravelines, la Ville de Saint-Omer obtint de se faire reconnaître un droit analogue sur l'écluse qui faisait déboucher dans le havre la rivière d'Oye, laquelle, d'autre part, donnait accès aux bateaux venant de Calais par le canal de Marck. Ces rivières avaient été ouvertes à la navigation par les Anglais pendant leur occupation du Calaisis pour relier, sur leur treritoire, Calais à Gravelines.

 

            C'est de là que beaucoup de bateaux arrivèrent de Calais pour remonter ensuite le cours de l'Aa, et le lieu appelé dans les textes l'Écluse ou ( Lécluse ) était celui de l'ancien fort de l'Écluse, où se trouvait l'écluse qui séparait de l'Aa le cours d'eau venant de Calais, Marck et Oye et débouchant à Gravelines.

 

            Quand, en août 1480, Marguerite, douairière de Bourgogne alla en embassade chez son frère, le roi d'Angleterre, négocier, de la part de Maximilien d'Autriche, un traité d'alliance en même temps qu'un projet de mariage entre la troisième fille du roi et Philippe d'Autriche, Comte de Charolais, fils de Maximilien, elle revint par Calais et de là en bateau par Watten et Saint-Omer.

 

            Or, c'est vraisemblablement la voie Oye, Lécluse, Gravelines qu'elle dut suivre comme étant alors la plus fréquentée entre Calais et Saint-Omer.

 

            De même, en 1520, Marguerite d'Autriche, qui était allée avec Charles-Quint à Calais pour assister à l'entrevue avec Henri VIII d'Angleterre prit la même voie. À Calais le 13 juillet, elle  arriva  à Gravelines le 14, et, après y être restée jusqu'au 16, arriva à Saint-Omer. ( Son neveu Charles-Quint y arrivait le même jour. Elle en repartit le lendemain 18 pour aller souper et coucher au Mont Cassel. )

 

            En tout cas, nous voyons que, pour ne pas perdre les perceptions de droits sur les bateaux qui évitaient le port de Gravelines pour entrer dans un port voisin, les Échevins exigeaient à l'Écluse la « cueillote » du sel, au débouché du canal venant de Calais; et, de leur côté, ceux de Gravelines y percevaient le tonlieu de ceux qui n'en étaient pas exemptés.

 

            Ce débouché formait donc en quelque sorte le complément du havre. Il fut, en 1605, l'occasion d'un procès intenté par ceux de Saint-Omer contre le Gouverneur de Gravelines à l'effet de lui faire interdire de lever tonlieu au lieu de l'Écluse sur les bateaux à destination de Saint-Omer, par assimilation aux bateaux venant directement de la mer.

 

            Or, le Grand Conseil de Malines fit droit aux prétentions de la ville de Saint-Omer dont il consacre les privilèges, et lui reconnaît, sur le dit lieu de l'Écluse et sur le petit canal qui le traverse, le même droit que sur la rivière et le havre de Gravelines, déclarant, de plus, que « le dict lieu de Lescluse est « Arthois ... » ( L'Aa canalisée formait, de Saint-Momelin jusqu'aux abords de Gravelines, la ligne de démarcation de Flandre et Artois, ligne qui se continue en s'incurvant, à l'ouest de la rivière, jusqu'à la mer. Cette limite a été conservée entre les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Le lieudit L'Écluse et le Grand-Fort-Philippe - qui est une agglomération moderne - sont compris dans l'étroite bande du département du Nord à l'ouest de l'embouchure actuelle de la rivière. Pourtant, s'il faut prendre à la lettre le texte qui déclare que « led. lieu de Lescluse est Arthois ... », il faudrait admettre, tout au moins, qu'il était sur la frontière ). On trouvera plus loin aux pièces justificatives, cet acte in extenso.

 

 

XVII

 

 

Autres affluents navigables de l'Aa.

 

            Entre Watten et Gravelines, la navigation s'alimentait non seulement des bateaux venant de la mer ou de ceux venant de Calais par la rivière d'Oye et L'Écluse; mais aussi des apports des autres affluents navigables, soit, sur la rive droite, la Colme, qui communiquait avec les voies d'eau de la Flandre, et, sur la rive gauche, la rivière de Ruminghem, débouchant au Ruth, qui, par l'ancienne Vonna ou Robecq, allait rejoindre la rivière de Guînes; puis le Mardic, qui traversait le pays de Langle depuis Hennuin où il communiquait par d'autres rivières avec l'Ardrésis et Calais. Ce canal était barré au lieu dit « Hauts Arbres » ou les « Grands Arbres », par une écluse très anciennement construite pour empêcher l'intrusion des eaux de la mer. Ces rivières étaient déjà navigables à partir de Calais au XIIIe siècle; mais il ne faut pas oublier qu'au moyen-âge, les travaux de navigabilité, rendus nécessaires par l'absence de routes carrossables dans le bas Pays, étaient singulièrement facilités par le faible tonnage des bateaux employés sur les rivières.

 

            Nous savons que les habitants de Saint-Omer employaient couramment, notamment pour les transports de vins, des bateaux qui pouvaient charger quatre tonneaux. On sait aussi que les overdrachs utilisés en Flandre pour hisser à sec les bateaux qui devaient franchir un barrage nécessitaient l'emploi de bateaux à fonds plats, de six tonneaux au maximum. Ce , n'est qu'au milieu du XVIIe siècle, que l'on vit apparaître les bélandres.

 

 

XVIII

 

 

Relevé de dépenses diverses engagées par la ville de Saint-Omer pour l'administration

et l'entretien du havre, de la rivière et des hems ..., balisage et feux du port,

bornage des hems ...

 

            On peut relever, dans les Registres annuels des comptes de l'Argentier, les recettes, soit de la location des « hems », soit de la « cueillote » du sel. Comme elles étaient, les unes et les autres, affermées, elles donnent lieu à des articles aussi peu détaillés que possible.

 

            D'autre part, le compte des dépenses comporte un chapitre pour les travaux du havre et de la rivière de Gravelines. Mais on peut vraiment dire que ces chapitres sont d'une étendue et d'une importance très inégales au point de vue des détails que l'on peut en tirer.

 

            D'abord, les premiers comptes  de  1440  et années suivantes sont des plus laconiques.

           

            ( 1439 - 40.- Messageries à cheval et à pié. ... Audit Huguet ( Gamel ) pour un voiaige par lui fait du command. de Messrs pour aller quérir Wille Witersonne, maistre ouvrier et conduiseur de l'ouvraige du nouvel havenne lequel, si que rapporté fu à mesd. srs, avoit proposé de soy partir brièvement et aler en Zélande à sa demeure sans cy retourner, laquelle chose eust pu tourner à grant dommaige, car l'ouvrage estoit imparfait et le amena ledit Huguet par devers mesd. srs comme ordonné lui estoit ouquel voiage il vaca III jours commencés le VIIe jour de mes - mai - oud. an XL .  .  .  .  pourX s. .  .  .  .  XXX s.

 

            1440 - 41 ( in fine ).- Despen à cause du nouvel havene de Gravelinge.

            ... À l'argentier pour despen fecte à cause du nouvel havene dess. dit depuis le compte particulier qui, en l'an de ce compte ou mois de juillet, fu rendu par mandatement de monsgr le duc ... ( Aucune détail de dépenses n'est relaté ) .   .   .   . Ve LXViii L. XI s., VIII d.

 

            1441 - 42.- Despen pour messageries à cheval et à pié.

            ... À Pierre de Bauffremez, bastart messagier de pied, pour, au commandement de mesdissrs, avoir porté lettres closes à Willame d'Utrecht à Neufport, afin qu'il venist devers eulx pour conférer avec lui du fait du fouich et nouvel ouvrage que icelli Willame a emprins de faire parmy les pastures de Relligieux de Clermares et de Denis de Fiennes lez Gravelinghes pour l'adrechement et apparfondissement de le rivière où il vaca III jours finez le XXVe jour de juing derrain passé pour jour .   .   .   . IIII s. ...

 

            1442 - 43.- Chapitre intitulé : « Autre despen. » - à la fin du registre.

            À l'argentier de ceste ville qu'il a paié de ses deniers pour la fection du havenne de Gravelingues .   .   .   . VII e XXIII Livres IX sols VIIII den. de XI gros monnoie de Flandres le livre, dont des parties il a autreffois fait apparoir par les comptes de l'impost qui, de l'ordonnance de monsr le duc de Bourgogne se cueille sur grains et autres marchandises widams et entrant par ledit havenne, le derrenier d'iceulx comptés finans le premier jour de mars mil IIIIe XLiii et rendu le IX jour dud. mois par devant monsr le gouverneur d'Arras et les receveur et contrerolleur de Gravelingues à ce commis par mondit sgr le duc; en la fin et conclusion duquel compte entre autres aucunes parties est portée ladte somme et lesdis commissaires présens et de l'ordonnace de messrs les maieurs de ceste ville dud. an ordonnée estre alouée par led. argentier en ses comptes de ceste dte ville, comme par icelli compte de l'impost  est  apparut  à  la  reddition  de ce compte. Pour ce cy lad. somme de VIIe XXIII L. IX s. Viii d.

 

            Pour les travaux du creusement du nouveau chenal, ils renvoient à des comptes particuliers qui ne nous ont pas été conservés. Dès 1460, ils sont plus complets. Il est vrai que les articles qui les composent, affectant la forme d'énumérations de fournitures de matériaux, décomptes de journées d'ouvriers, etc, ... n'ont pas la précision suffisante qui nous permettrait de nous représenter la physionomie générale des travaux. Peut-être y eut-il, à côté, pour chaque entreprise particulière, des comptes partiels et spéciaux qui ne nous sont pas parvenus. Bien plus, certains de ces comptes annuels sont, sans raison apparente, plus concis que d'autres : c'est ainsi que l'on trouve parfois un seul article de quelques lignes pour tous les travaux de l'année.

 

            D'autre fois, en pleines périodes de travaux, les dépenses occupent plusieurs pages et de nombreux articles.

 

            Il y a d'abord les rétributions, largement comptées, des déplacements de personnages députés par l'Échevinage pour visiter l'état de la rivière et du havre, les travaux entrepris, examiner ceux qu'il y a lieu d'entreprendre et en faire rapport. Ces envoyés sont, pour la plupart, des Échevins, parfois le Grand Bailli lui-même avec le Mayeur, des bourgeois notables, des bateliers et « maresquiers » spécialistes en travaux de rivières, etc ... Puis vient le décompte plus ou moins détaillé de journées d'ouvriers. Si quelques travaux d'entretien sont parfois désignés, tels que frais de dragage et de balisage, extraction de roseaux, faucillage ( Compte de 1693, fº 152 : dépense de " fossiliages ". ), gazonnement des rives avec des gazons que l'on va chercher dans les " hemps ", ( ... à Martin Riet, bouchier, fermier des pastures que la ville a lez Gravelingues, lequel avoit requis estre récompensé des intérestz qu'il disoit avoir en ses moutons et bestes à layne qu'il avoit tenu pour en graisser esd. pastures es années LXVI, LXVII et LXViii, au moien de ce que, en icelles années, mesdissrs avoient fait fouir et prendre excessivement wasons pour la réparacion et ouvrages dudit havene  en  diminuant  grandement  les herbes et pasturages desd. bestes .   .   .   . XXXiii L. - ( Compte 1467 - 68, fº 147 vº ), fournitures de bois, piquets ou planches, outils, achats et transports de pierres; et, le plus souvent, on ne trouve pas indication du genre de travaux auxquels les journées payées ont été consacrées, et c'est ce qui doit nous confirmer dans cette assertion que ces comptes ne suffisent pas pour permettre de reconstituer exactement l'ouvre accomplie dans le cours de l'année.

 

            Ce n'est pas, toutefois, qu'on ne trouve, dans le cours de ces articles, des particularités ou précisions dont voici quelques exemples :

 

a).- Renvoi à des comptes annexes donnant le détail des travaux.

 

            « ... À sires Jacques le Mezemacre et Guille Maes, eschevins et commis ausd. ouvraiges, pour les causes et parties au long déclairées en ung cayer contenant XV foulletz escriptz de deux costez, leur a esté baillé la somme de 1936 l. 10 s. 9 den. ob., le tout emploié aux ouvrages, réfection et entretenement dud. havene, dont les noms des ouvriers et jours par eux emplyés et en quelz lieux sont au long déclairés oud. cayer ...

 

            ... À Jehan Jespersoenne de Remerswalle en Zeelande, pour avoir venu en ceste ville au mandement des mesd. srs pour faire marchié à luy de continuer l'ouvraige encommenché dès l'an passé aud. havene, lequel marchié se feit selon le teneur de certain escript fait en double, par lequel icellui Jehan doit avoir pour ses despens et vaquacions tant de sad. venue, comme du séiour et retour ... cs. - Compte 1510 - 1511, fº 177 vº et fº 178 vº.

 

b).- Travaux de dragage.

 

            Le compte de 1508 - 1509 énumère ( fº 164 rº ) un certain nombre de journées d'ouvriers employés à des travaux de « greppe ».

 

            En 1695 ( fº 106 - 107 ), plusieurs articles sont comptés à Jean Look et Thomas Delis pour travaux de grepage de la rivière d'Aa - alias pour avoir grepé lad. rivière d'Aa - ( Le mot « greppe » doit désigner l'instrument dont on se servait pour retirer la vase du fond de la rivière : " .. pour avoir nettoyé le wez à Saint-Bertin à le greppe et le terre menée sur les estaboins au Haut-Pont ... " ( Compte de l'Argentier 1501 - 02, fº 144 vº ). On remarque que ce mot est employé dans un tout autre sens dans le Registre aux Bans municipaux du XIIIe siècle : " On a commandé ke nus ne greppe terre en autre terre ne en fosses qui est communs d'une part et d'autre, se n'est par le volentei de chaus ki li yrretages est, sour LX s. ( Archives de Saint-Omer AB, XVIII, 16.- Cf. Giry, Histoire de Saint-Omer, p. 543, art. 525 ). Ici le mot est certainement pris dans le sens de jeter ) pour avoir " tiré de lad. rivière ", d'une part, deux cent soixante et onze, d'autre part, trois cent quarante-six, de troisième part, dix-huit cent soixante-quinze bateaux de terre. Les sommes payées furent respectivement 138 livres 5 sols; 177 livres; 714 livres 7 sols.

 

c).- Balisage du havre.

 

            On peut rapprocher des dépenses de balisage celles relatives aux feux à entretenir pour éclairage nocturne de l'entrée du port. Mais comme le document recueilli sur ce point n'est pas extrait des comptes municipaux, je renvoie à la fin de ce chapitre l'indication qui y est relative.

            Voici les extraits qui se rapportent au balisage proprement dit :

            ... à Jehan Appelman, marchand de bois, pour, par luy, avoir vendu et livré sur led. havene ...l.Viii bastons nommez bacques pour les bollebacq(ues) dud. havene, assav. les Viii de longheur environ XXViii piedz, et le surplus de longheur environ XXViii piedz, chacun baston au pris de Vi s.

 

            ... Pour l'achat de XXVIII grandes pierres blanches à manière de bertines ( Pour les pierres dénommées ainsi, voir Bull. Soc. Ant. Mor. T XIV, livre 273, p 451.) de deux pieds de long, pied et demi de large, et ung pied d'espez ( épaisseur ) livrées à la rivière au haupont pour mettre au bollebacque et bacques à les tenir droitz en la mer : au pris led. achat de .   .   .  . l. XXii s.

 

            ... à la femme Micquelot Parmentier pour ( avoir ) voiturié de batteau lesd. pierres de bollebacq qu'elle admena de cested. ville de Saint-Omer, et les deschergea au passage dud. Gravelinghes. ( Compte 1530 -31, fº 222 et 224 ).

 

            ... à Georges Janzonne pour quatre grandes pierres, les deux mises à la seconde bolbacque de dehors, et les deux autres à la dernière bolbacque aussi dehors, pour ce .  .  .  . VI s. ( Compte 1520 - 21, fº 268 vº ).

 

            ... à Jehan Loys, mandelier, de avoir vendu et livré trois douzaines de paingniers d'oziers nommez bollebacques ( le mot bolbacque est formé des mots flamands, Bol, Boule, rond; Back, balise, bouée ) tous enterquiez ( le verbe enterquer signifie enduire - Godefroy. ), et à l'employ de en servir et mectre sur perches à enseignier les mariniers la parfondeur de yssir et entrer à sceureté oud. havene. Et ce au ris accoustumé, l'achat de chacun desd. paingniers, comprins livraison du tercq et fachon d'iceilx .  .  .  . VIII s. qui aud. pris ensamble sont la somme de .   .   .   . XIIII . VII s. ( Coompte 1547 - 48, fº 172 r º ).

 

            ... à Charles Loys, mandelier et futaillier, par luy avoir vendu et livré ... le nombre de trente-huict mandes entercquées nommées bollebacques, servants à mectre sur haultes perches du long ledit havene pour enseignement aux mariniers des lieux périlleux, ici du prix de huict solz la pièche, qu'y aud. prys faict .   .   .   ., XV l. iiii s. ( Compte 1565 - 66, fº 217 vº ).

 

            ... À Jacques Tant, cordier ... avoir livré une trousse de grosse corde pour loier ( lier ) et faire tenir les ballières droictes du loing led. havene de Gravelines pour servir d'enseignement aux bateliers des lieux périlleux .   .   .   .   XVii l. Xi s. Vi d.

 

            ... À Charles Loys, mandelier, pour avoir faict et levé pour l'employ dud. havene le nombre de vingt-quatre mandes d'ozières nommées bolbacken enterqué pour mectre du loing du dit havene sur haultes perches pour servir d'enseignement aux mariniers de l'entrée d'iceluy .   .   .   . IX livres 18 sols. ( Compte 1574 - 75, fº 149 r º ).

 

            ...À François Darthe, mre plombier, a esté ( payé ) la somme de 60 sols pour six bolbacques qu'il a enterquiés, servant d'enseignement aulx mariniers arrivans au hable de Gravelingues. ( Compte 1634 - 35, fº 157 rº ).

 

            d).- Bornage des hemps.

 

            1515.- Nouveau bornage « ... pour cause d'aucunes acrustures que le receveur de lade Dame ( Comtesse de Saint-Pol et dame de Gravelinghe ) disoit estre augmentées es pastures dud. Gravelinghes ...

 

            ... à Guill. Maes, eschevin commis aux ouvraiges dud. Gravelinghes pour led. havene, pour avoir, de l'ordonn. des mesd. srs, accompagnié de Anselot du Chocquel, clercq desd. ouvrages, allé aud. lieu de Gravelinghes, et illecq fait planter trois bournes de bois quesne à potences par desoubz, sur les pastures et hemps prins à rente par contrat à Mme de Vandosme, lesquelz bournes ont esté mis l'une contre le desoivre de le terre occupée par les Anglois et les autres venant à la ligne d'icelle séparation de ce que appartient à lad. ville ... contre les acrustures et terres que l'on pourra gaignier sur la mer, et pour monstrer que jusque à icelles bournes le tout appartient à icelle ville ... ( Compte 1514 - 15, fº 210 rº et vº ).

 

            1548.- ... À Jeahan Foucart, marchand de grés à Béthune, pour avoir vendu et livré par batteau depuis led. Béthune jusques au rivaige près la ville d'Aire trois grandes pierres de grés, chacune  en  longueur  de  dix  pieds; de large ( blanc ) pauch ( pouces ); et, d'espesseur ( blanc ) pauch; et à chacune y entretaillie ung escuchon à la double croix estans les armoiries d'icelle ville; et lesd. pierres servans pour bournes à les mectre et planter en terre sur les hemps au lez west de la rivière et havene de Gravelinges pour limitacion, et faisant l'entre deux de ce pays et du plat des Anglois.

 

            Au priz l'achat de chacune pierre de IIII l. X s.

 

            À Martin Thirant, carton de lad. ville d'Aire, pour la voicture de car desd. trois pierres depuis led. lieu du Ryvaige d'Aire jusques au Hault pont en ceste ville; en ce comprins leur aide de les avoir chargié et descergié dudit car; dont il en demande pour tout ensamble .   .   .   . LX s. ( Compte 1547 - 48, fº 172 vº et fº 173 rº ).

 

e).- Travaux courants ( Entretien, réparations ).

 

            ... pour avoir rompu les wars ( Il existe un mot flamand war qui signifie embrouillement, obstruction. Serait-ce mot qui serait employé ici dans le sens d'objets obstruant la rivière ? ) estans es rivière entre Mardicqhoucque et ceste ville ...

 

            ... pour ung cent de gluy ( Glui, botte de paille ou d'herbe liée avec de la paille ) de blé livré sur le nouvaeu delst ( delft ) ( Delst, peut-être pour deelst, du verbe flamand deelen, diviser, partager, séparer. Mais, dans quelques autres comptes, je trouve écrit delft. Alors, il faudrait chercher le sens dans le verbe flamand delven - ik delf, dolf -, qui signifie creuser, fouir. Il s'agirait alors d'un creux, fosse ou bassin dans la rivière. Ce sens serait plus vraisemblable.

            Cette constation que, suivant les comptes, on trouve les deux formes, et, en général, l'incorrection avec laquelle les mots dérivés du flamand, ne peuvent que nous confirmer dans la pensée que ces scribes de XVIe siècle ne connaissaient plus cette langue et n'employaient qu'une orthographe  phonétique  tout approximative. Quoi qu'il en soit, la forme et le sens de « delft », creux, bassin, semblent être confirmés par les deux textes ci-après.

 

            1º.- Dans la Correspondance du Magistrat de l'année 1602, on trouve ( nº 23 ) une lettre adressée à Nicolas Michiels " mestre des ouvrages du havre et mendelf de Saint-Omer aud. lieu ( Gravelines ). Il s'agit de garnir de « fachines » le « mendlf », car on craint toujours un débarquement des ennemis.

 

            2º.- Dans la même Correspondance, année 1569 ( pièce 3372 ), une visite de la rivière pour la prévision de travaux à faire « pour l'entretenement du havene de Gravelinghes » signale les faits suivants « ... sur la haie dud. havene commenchant au borne vers la mer venant vers le mendelf est requis estre faict en divers lieux entre les testes le nombre de CXXVIII  verghes  de  nouvelle  haie  de  XIIII  piets  chacun  verghe  de II à III fachines de hault ... ».

            Il résulte bien du sens de ces différents textes que ces mots nouveau delf, mendelf désignent une certaine partie du havre en amont de la partie qui débouche dans la mer.

 

            Enfin, il ne faut pas oublier que l'impôt de fouage ou fouich, perçu par le Magistrat de Saint-Omer pour approfondir et curer la rivière était appelé en flamand delfghelt. ) pour cramer les travaux qui ont esté fais et rompus de la tourmente de la mer et de la glaiche sur l'enwazonnage de la haye et en le dicque d'entre le Nortporte et le grande Crecque .   .   .   . XXXii s. ( Compte 1522 - 23, fº 213 vº ).

 

            ... pour avoir reffaict la première teste contre le grande crecke ou nouveau delft ...

 

            ... audit Malin pour le menaige de deux carées de rozel pour crammer ( Cramer, crammer verbe que l'on ne trouve dans aucun dictionnaire, et que je vois souvent employé dans les comptes de travaux de cette époque dans le sens de combler, boucher ) le enwazonnage du hauchement de le haye à II s. chacune carée .   .   .   . IIII s. ( Compte 1520 - 21, fº 265 vº et fº 268 rº ).

 

            ... à Hector le Decre, mestre maresquier ... avoir à la doléance des maresquiers et aultres manans et habitans tant de cested. ville que dehors, mesmes de ceulx de Watenes et à l'environ de la rivière allant d'icelle ville à Gravelinghes, copper et nettoyer atout VI faucilles que l'on nomme wietzeere, les herbes et hazois croissans es rivières et eaues ... ( Compte 1530 - 31, fº 222 vº ).

 

            ... à Symon Neudz, demourant à Reminghem, neuf cens soixante sept livres dix sols, pour livrison faict durant l'an de ce compte pour l'entretement du havre de Gravelinghes du nombre de quarante-sept mil de faschines à XXI livres, X sols le mil ... ( Copte 1607 - 1608, fº 121 vº ).

 

            ... vaquiée a copper et nettoier atout les six faucilles que l'on nomme witdisere, les roseaulx et hazoix d'herbes croissans ... ( Comptes 1547 - 48, fº 172 rº ).

 

            Cet engin tranchant, nommé witdesere, devait être manouvré en bateau, à en juger par la note suivante : « ... à Willemet, cordier, pour courdail pour tirer les bateaux dud. widezere .   .   .   . II lib. de fil de commande à Xii den. le lib. : fait II sols. » ( Compte 1527 - 28, fº 228 vº ).

 

f).- Fournitures de matériaux.

 

            « ... À Baltazar l'Esprit, adjudicatre de la livraison des pierres de Boulogne, pour la réparation du canal de Gravelinges » ( Compte de 1688, fº 205 vº ).

 

g).- Dépense pour drap de robe à un adjudicataire des travaux.

 

            « ... À Jehan Jespersoenne ( voir ce nom à la fin du premier article de ces extraits de compte ) la somme de VI l. cour. qui ordonnez lui ont esté par Mesd. srs pour la convertir au paiement du drap d'une robe partie de la parure livrée des officiers de cested. ville à luy consentie pour porter le jour saint du Saint-Sacrement, temps d ec compte et es jours enssievans comme l'en est acoustumé et en ensievant le traité fait avec luy pour l'ouvrage dud. havene .   .   .   . Vi livres. ( Copte 1510 - 11, fº 178 rº ).

 

h).- Dépense pour entretien de lumières indiquant l'entrée du port.

 

            Nous n'avons à ce sujet qu'un document. c'est une lettre de l'Échevinage de gravelines du 9 octobre 1501 sollicitant la participation de celui de Saint-Omer à l'entretien de deux falots qu'il vient de faire installer sur la dune, et qui sont destinés à replacer des lanternes que ceux de Saint-Omer avaient fait mettre l'année précédente. la contribution de ces derniers devait consister en la fourniture de torches.

 

            Ici la ville de Gravelines manifestait l'intérêt qu'elle y avait elle-même, au moins égale à celui de la ville de Saint-Omer, puisque l'indication nocturne de l'entrée du port devait servir autant aux pêcheurs de harengs qui formaient la majorité de la population maritime, qu'au transit commercial qui devait remonter la rivière.

 

            On trouvera aux pièces justificatives la lettre des Échevins de Gravelines. Je dois toutefois dire que je n'ai pu trouver la réponse qui y fut faite.

 

i).- Police de la rivière.

 

            Avait-on au moins songé, en ces temps où la sécurité des routes n'était que bien relative, à assurer celle des abords de la rivière et à protéger les mariniers dont les bateaux n'avançaient qu'à marche lente, contre la cupidité des maraudeurs tentés par l'appât des marchandises transportées par eau ?

 

            Cela est bien peu probable; et bien que nous ne possédions pas de documents pour donner une réponse précise et générale à la question, voici, tout au moins, un texte assez suggestif qui nous montre les pauvres mariniers en butte aux attaques des détrousseurs qui guettaient, pour les piller, les navires chargés de marchandises.

 

            1453.- « ... À Ernoul le Prevost, connestable des grans archiers de ceste ville pour lui, Hanneque du Moulin et son frère; Jehan Drinquebier, Pierre le Portre et Jacques le Vindre, archiers, pour ung jour que, de l'ordonnance des mesdis srs, ilz allèrent, habilliés et armez, en la compaignie de Guillme de Rabodenghes, lieuten. de monsgr le bailly de Saint-Omer, à intention de prendre et appréhender pluseurs compaignons que on disoit estre logiés à Mourquines et ailleurs sur le grant Rivière entre ceste ville et Gravelingues afin de rober et pillier les marchandises et ceulx qui conduisoient icelles par ledicte rivière, comme desia avoit esté fait; lesquelz robeurs ne furent ne peurent estre trouvez; mais retourna led. lieutenant et ceulz de sa compaignie sans aucun exploit faire. Pour ce, par mandement du XXViie jour d'avril mil iiii c et LIII et quict. cy rendue .   .   .   . XX s. » ( Compte de l'Argentier 1452 - 53, Desp. Commune, fº 98 rº et vº ).

 

            L'exploit de police a été effectué à Morquines, c'est-à-dire dans les limites de la juridiction du Magistrat de Saint-Omer : mais il est certain qu'en dehors de sa juridiction il n'eût pas eu autorité pour le faire. On ne peut donc conclure de ce texte que la Ville eut à assurer la police des rives de la rivière : cela incombait, à n'en pas douter, aux Châtellenies et aux Seigneuries riveraines. Ici donc la juridiction de la Ville ne pouvait franchir les limites de la banlieue.

 

            Mais ce qui était limitatif pour les rives de la rivière ne l'était pas pour la rivière elle-même et l'on peut dire que la rivière de Saint-Omer à Gravelines comme le havre de Gravelines, étaient sous « le gouvernement » des Échevins de Saint-Omer.

 

            En 1431, un arrêt du Grand Conseil de Flandre homologue un accord entre l'échevinage de Saint-Omer d'une part, les religieux du monastère de Watten, d'autre part, au sujet d'empêchements et de travaux que ces derniers avaient faits, mettant de ce fait un obstacle au libre cours de la rivière.

 

            « La Ville s'est fait reconnaître le droit d'eschauwage ( escauwage, écouage ) et du gouvernement de ladite rivière jusques en la mer ... ». ( Mém. Soc. Ant. Mor. T 15, p 165 ).

 

            j).- Prières pour la réussite des ouvrages.

 

            Tout imprévu qu'il nous paraisse, cet article de dépenses n'était pas inopportun, car la Ville éprouva de véritables déboires dans l'exécution des premiers travaux. Il arriva en effet que le barrage qui retenait les eaux de l'ancien lit de la rivière, avant son déversement dans le lit nouvellement creusé, céda à deux reprises.

 

            L'Échevinage jugea opportun d'implorer, par des aumônes pieuses, l'intercession divine.

 

            1441.- ... pour quatre kennes ( Rappelons que la kenne - cane mesure - était de un lot et demi : le lot était d'une capacité de 2 litres, un décilitre et demi ) de vin moictié franchois de iii s. et moictié de ii s. le lot, prinses à Baudin de Mussem XV s.; et pour le moictié d'un vel acaté en le Boucherie, XV s., donné par osmone en pitance, et par Artus de Morcamp, du commandement des mesd. sgrs maieurs et eschevins, le IXe jour de may l'an mil CCCC XLI présentez aux Cordeliers, leur recommandant à prier que Dieu voulsist maintenir l'ouvrage qui se faisoit pour le prinse et estaquement du cours anchien de le rivière pour le faire courir ou nouvel fouich à la répa(ra)tion du havene de Gravelingues, lequel estanquement estoit tant difficile que par deux fois à grant dommage avoit failli.

 

            Valent lesd. deux parties .   .   .   .  XXX s. ( Compte 1440-41 « Despen pour dons d'omosnes ». ).

 

            En 1620, l'Échevinage se trouvait embarrassé dans la gestion et l'entretien du havre et fit venir un ingénieur d'Ostende, Jean Sprutz « ... À Jehan Sprutz, Ingéniaire demt à Oostende at esté payé la somme de 45 florins pour le voyaige qu'il a fait exprez dud. Oostende en ceste ville, y appellé par mesd. srs pour avoir son advis touchant ce que serait requis pour l'entretement dud. havre à moindre fraiz de ceste ville que faire se poroit, et s'il ne seroit meilleur baillier led. entretement au rabat; auquel voyaige led. Sprutz at vaqué tant en allant qu'en séiournant et retournant sept jours que lesd. srs ont taxé à l'advenant de six florins par jour par dessus ses despens de bouche, estant compris, en ladicte somme de quarante cincq florins, 60 solz que mesd. srs ont faict donner au joune homme ayant accompaingné led. Sprutz ...

 

            ... À Franch. Godart, hoste du Chevallier au Cingne at esté payé la somme de 28 florins Arthois, at quoy a esté trouvé porté la despense de bouche fait au logis dud. Godard, par led. Jehan Sprutz, Ingéniaire ...

 

            ... À Anthoine Lenoir, demt en la ville d'Oostende at esté payé la somme de trente-cinq florins à quoy s'est trouvé porter le voyage par luy fait en ceste ville pour conférer avec luy ( le Magistrat ), pour emprendre, sy faire se pooit, l'entretement dud. havre de Gravelinghe, pour le plus grand prouffict de cested. ville, etc ...

 

            ... À Adolphe Marmin, concherge de la Scelle, at esté payé la somme de cincq fl. pour la despense fecte aud. lieu le dernier jour de mars XVIc vingt par aulcuns eschevins commis par mesd. srs pour traicter et conférer avecq led. Le Noir affin d'apprendre une bonne manière pour entretenir led. havre ... »), pour avoir de lui une consultation sur les moyens à prendre pour arriver à faire les travaux à meilleur compte, et à en obtenir l'entreprise au rabais.

 

            Comme suite à cette consultation, la Ville dut essayer de s'adresser à un seul chef de travaux, et, en particulier, le compte de 1630 - 1631 nous montre ( À Antoine Crawe, marchant, pour l'entretenance par lui empris d'entretenir le hable, hayes et testes quy sont à la charge de ceste ville séantz lez Gravelinghues, par accord faict entre Messrs du Magistrat de ceste dicte ville, ensamble d'entretenir de cordages, balize et bolbacques nécessaires à enseignier le chemin pour entrer en la rivière sans danger, at esté payé .   .   .   . IIm XLVII Livres. ( Compte 1630 - 31, fº 145 vº ) qu'un certain Anthoine Crawe en a pris une entreprise globale; mais néanmoins, il ne nous apparaît pas que ce mode de gestion ait continué à être adopté comme règle, et, dans les années suivantes, nous voyons qu'on recourut de nouveau à des entreprises multiples.

 

            Parmi les derniers comptes qui sont, il faut le dire moins détaillés que ceux des siècles antérieurs, je prends, comme exemple, celui de 1690, qui est un de ceux qui contiennent le plus de dépenses relatives aux travaux de la rivière et du havre.

 

            Les articles  portent, pour la plus grande majorité, sur des fournitures de « fascines », « pilots », piquets pour consolider les rives, journées d'ouvriers, dont on ne nous dit que le nombre, frais de visites, etc..., etc..., rien, en somme, qui nous fixe sur les détails techniques des ouvrages. C'est certainement dans cette période et même depuis la fin du XVIe siècle, que les registres sont moins intéressants à parcourir, ce qui laisse supposer qu'il y eut d'autres comptes particuliers qui ne nous sont pas parvenus.

 

            Plus loin, au chapitre dépenses concernant les hems, on relève des frais de recettes, d'arpentage, frais de garde, voyages d'échevins pour inspecter l'état des lieux, dépenses afférentes à la reddition des comptes.

 

 

XIX

 

 

a).- Recettes de la « cueillote du sel » et de la location des hems.

b).- Récapitulation des dépenses affectées par la Ville aux travaux.

 

            Voici, d'autre part, quelques relevés des produits de la ferme de la « cueillote du sel ».

           

            Année 1452 - 53 .   .   .   . 503 livres, 3 deniers ( Compte de L'Arg. fº 126 et suiv. )

            Année 1465 - 66 .   .   .   . 669 livres                                                  fº 138 et suiv.

            Année 1484 - 05 .   .   .   . 464 livres, 10 sols                                     fº 149            

            Année 1506 - 07 .   .   .   . 522 livres                                                  fº 158

            Année 1571 1ère 1/2 a.   . 700 livres

                                 2ème 1/2 a. . 320 livres                                                 f º 112

            Année 1589 - 90 .   .   .   2 452 livres, 8 sols

            Année 1594 - 95 .   .   .   2 561 livres

            Année 1595 - 96 .   .   .   2 050 livres, 8 sols

            Année 1598        .   .   .   1 484 livres

            Année 1600        .   .   .   2 561 livres

            Année 1652   environ .      800 livres

            Année 1670 1ère 1/2 a.   .  982 livres

                                 2ème 1/2 a. .  960 livres

            Année 1688        .   .   .    1 833 livres, 6 sols, 8 deniers

            Année 1690        .   .   .    1 410 livres

            Année 1701        .   .   .    4 033 livres, 6 sols, 8 deniers

 

            Mais, en 1701, le droit était porté à 2 sols 6 deniers la rasière, et la somme est comptée en monnaie commune alias de France, tandis que, précédemment elle l'était en monnaie de Flandre.

 

            On verra comment, depuis 1721, de même que pour la location des Hems, cette perception cessa.

 

            Mais on sait que la précieuse collection que l'on a conservée de nos registres de l'Argentier n'est pas complète : les lacunes, quoique peu nombreuses, suffisent à nous empêcher de connaître la suite ininterrompue de ces recettes.

 

            Par contre, nos Archives ont conservé un tableau complet, dressé au XVIIIe siècle, des recettes des Hems et des dépenses du havre et de la rivière, qui devaient normalement correspondre aux recettes des hems et de l'entrée du sel. C'est ce document qui nous révèle de la façon la plus précise l'importance des sommes qui entrèrent de ce chef dans le budget de la ville, de même de celles qui en sortirent.

 

            a).- Recettes des Hems.

 

            De 1441 à 1470 .   .   .   . 1 823 livres

            De 1471 à 1500 .   .   .   . 2 463 livres, 15 sols

            De 1501 à 1530 .   .   .   . 2 939 livres,   5 sols

            De 1531 à 1560 .   .   .   . 3 310 livres, 12 sols, 6 deniers

            De 1561 à 1590 .   .   .   . 5 503 livres

            De 1591 à 1620 .   .   .   12 698 livres, 17 sols, 6 deniers

            De 1621 à 1650 .   .   .   14 152 livres

            De 1651 à 1680 .   .   .   23 157 livres, 10 sols

            De 1681 à 1710 .   .   . 115 396 livres,   2 sols, 2 deniers

            De 1711 à 1720 .   .   .   65 438 livres

                        TOTAL :          246 879 livres, 11 sols, 8 deniers

 

b).- Totaux, par périodes de trente ans, des dépenses affectées par la Ville aux travaux.

 

            De 1441 à 1470 .   .   .   . 20 572 livres, 18 sols, 4 deniers

            De 1471 à 1500 .   .   .   . 55 747 livres, 15 sols

            De 1501 à 1530 .   .   .   . 38 108 livres,   3 sols, 2 deniers

            De 1531 à 1560 .   .   .   . 41 356 livres,   3 sols, 1 deniers

            De 1561 à 1590 .   .   .   . 54 356 livres, 10 sols

            De 1591 à 1620 .   .   .   108 436 livres, 15 sols

            De 1621 à 1650 .   .   .   . 76 075 livres

            De 1651 à 1680 .   .   .   .   8 296 livres, 15 sols, 7 deniers

            De 1681 à 1710 .   .   .   . 71 597 livres,   8 sols, 3 deniers

            De 1711 à 1721 .   .   .   . 12 261 livres,   9 sols, 9 deniers

                        TOTAL :            487 164 livres, 16 sols, 9 deniers.

 

            Comme la Ville devait consacrer aux travaux tout le produit soit des hems, soit de l'impôt du sel, nous trouvons dans la différence entre les deux totaux qui précèdent le montant approximatif de la recette de la « cueillote » du sel. On ne peut, en effet, ainsi qu'il a été dit, trouver ce total dans les comptes de l'Argentier à cause des lacunes qui se trouvent dans la suite des Registres.

           

            La reddition des comptes des revenus des Hems et des dépenses engagées par la Ville pour les travaux de Gravelines dut se faire, suivant un ordre du duc de Bourgogne, devant des gens à ce « connaissant ». En fait, elle avait lieu, chaque année, devant un commissaire délégué à cet effet, en présence du Bailli et de deux Échevins de Gravelines.

 

 

XX

 

 

Coup d'oil sur les résultats apportés par les travaux de la ville de Saint-Omer

à la navigabilité de la rivière.

 

            Malgré les vicissitudes des guerres et des rivalités dans cette région qui était frontière, de trois côtés différents, aux Anglais, à la France et à la Flandre, il ne paraît pas que les ouvrages de la navigation aient subi des dommages sérieux, soit du fait d'opérations ennemies, soit du fait d'inondations, pendant les deux siècles qui ont suivi leur remise en état par la ville de Saint-Omer. Celle-ci semble vraiment les avoir entretenus, durant ce long espace de temps, de façon à donner satisfaction, et cela ne pouvait se faire qu'en ne se départissant pas d'une surveillance constante. Les événements prouvaient qu'une incurie un peu prolongée devenait nuisible, tellement les causes diverses d'ensablement et d'obstruction du cours de l'eau agissaient rapidement.

 

            Toutefois, il n'est que juste de rappeler que ces travaux de préservation ne furent parfois obtenus de la ville de Saint-Omer qu'à la suite d'injonctions plus ou moins pressantes des voisins menacés. N'a-t-on pas vu en particulier qu'entre 1520 et 1530, la Ville fut sur le point d'être contrainte de construire un nouveau havre déplacé à l'ouest et mieux orienté ? Pour les raisons qui ont été dites, il y fut sursis, de sorte que l'on peut constater que, tout imparfait qu'il ait été, ce débouché sur la mer ne subit pas, pendant près de deux siècles et demi, de transformation autres que des travaux de consolidation et d'entretien partiels.

 

            On peut toutefois rappeler ici qu'en 1610 fut effectué le creusement du nouveau canal, depuis les fossés des fortifications de la ville, en ligne droite jusqu'au delà des Quatre-Moulins, ce qui améliora singulièrement, pour la navigation, l'accès et la sortie de la ville. À vrai dire, cette partie de la rivière avait déjà reçu des améliorations progressives dans son aménagement, mais ce n'était encore qu'exceptionnellement que les bateaux venant de la mer parvenait à remonter jusqu'à Saint-Omer. ( V. Mém. Soc. Ant. Mor. T 16 pp. 336 - 337 ).

 

 

XXI

 

 

Le havre de Gravelines pendant les guerres du XVIIe siècle.

 

            Au milieu du XVIIe siècle, l'urgence dut se faire sentir d'une réfection des travaux de 1441. Mais, ici, la ville de Saint-Omer n'eut pas à intervenir; et nous voyons que c'est un fait de guerre qui, en écartant cette intervention, prépara la mainmise de l'État sur la rivière et l'embouchure de l'Aa, mainmise qui devait devenir définitive au XVIIIe siècle.

 

            En effet, il ne s'agissait plus de question commerciale, mais de défense du pays. On se préoccupait de fortifier Gravelines du côté de la mer et d'appronfondir le port afin de procurer un écoulement plus facile des eaux de l'intérieur, et, surtout, de ménager un port de relâche aux navires espagnols auxquels ne pouvait suffire l'ancien havre qui commençait à s'ensabler.

 

            Mais la première entreprise dans ce sens fut interrompue par suite des violentes protestations de la France. Voici ce qu'en dit notre chroniqueur Hendricq :

 

            « On commença, cette année 1618, à creuser le havre de Gravelinne, autrement un canal qui s'extent jusqu'à la mer au travers des hems : il y avoit plus de 5 à 6 cens travailleurs. La France s'en plaignit, prétendant que c'était contrevenir aux traités de paix qui portoient de ne faire aucune nouvelle fortification sur les frontières, ils s'en plaignirent à M. de Guernonval, le gouverneur de Gravelines, qui leur répondit qu'il ne faisoit  ( qu' ) exécuter les ordres de la Cour.

 

            Les Francois défendirent à tout sujet de travailler audit canal sous de grièves peines. On fit mettre plusieurs canons sur les remparts de Gravelines à cause qu'on craignoit que les franchois ne vinsent incomoder les travailleurs.

 

            Le Roy de France, étant informé de cet ouvrage, en fit faire des plaintes à leurs Alteses, protestant qu'il ne souffrirait que cet ouvrage s'achevât, de sorte qu'on se croiroit menacé par là d'une nouvelle guerre. Le tout se termina par un assemblé ou Conférence. Le 5 ou le 6 vint un ordre de la Cour de stater l'ouvrage et de congédier les travailleurs. ».

 

            Ce ne fut pas pour longtemps. En 1635, éclataient les hostilités entre l'Espagne et la France. Ordre fut donné de reprendre les travaux; le plan était de ramener le lit de la rivière dans un chenal qui s'avancerait en ligne droite de la ville vers la mer dans une orientation du sud-est au nord-ouest, et d'y construire un sas ou bassin auquel on accéderait par une écluse défendue sur les deux rives par des forts dont le fort royal de Saint-Philippe ( dénommé ainsi en l'honneur du roi Philippe IV dont c'était le patron ), alias fort Philippe.

 

            Dès 1637, les travaux furent poussés avec activité par de nombreuses équipes soutenues par un Corps d'armée.

 

            On entreprit enfin les fondations d'une grande écluse pour barrer la rivière elle-même à l'entrée de la mer (  V. sur ces travaux le Bulletin de l'Union Faulconnier du 31 mars 1902, pp. 60 et suivantes ) et y tenir, à marée basse, les navires à flot.

 

            Mais ces ouvrages de défense, en même temps que d'amélioration de l'estuaire, furent anéantis par les Français qui, dans le courant de l'hiver 1638 - 1639, envahirent et bouleversèrent les chantiers, engloutirent les fondations tant de l'écluse que du fort Philippe, comblant le canal du côté de la ville.

 

            Rien ne subsistait de ces travaux considérables pour l'époque.

 

            La ville de Saint-Omer n'y avait pas participé : mais si son havre continuait à subsister, il était bien abîmé. Il est vrai qu'elle continuait de percevoir les recettes des Hems et de la cueillote du sel; mais que pouvait-elle entreprendre pendant la période de guerre qui ne vit pas moins de trois sièges de la ville de Gravelines ? Et voilà qu'après 1659, quand le traité des Pyrénées eut consacré l'annexion définitive de Gravelines à la France, cette ville se trouvait sous domination étrangère, sinon ennemie de la domination Espagnole qui conservait Saint-Omer et l'Artois réservé jusqu'en 1677, soit encore dix-huit ans.

 

            On ne pouvait vraiment compter que, dans ces conditions, le port français de Gravelines, susceptible de recevoir une utilisation militaire, ait été l'objet d'améliorations de la part d'une administration espagnole.

 

            L'entretien seul de la rivière et la lutte contre les dangers d'inondations pouvaient d'ailleurs suffire à absorber les revenus dont le produit était, en ces temps troublés, singulièrement amoindri.

 

            De cet abandon, il résulta que le havre, ensablé et dont l'accès avait été presque bouché aux gros navires par des épaves de grands bateaux coulés à dessein, n'était plus fréquentté que par de petites barques de pêche. Mais la rivière continuait de servir de centre au trafic intérieur; et, en temps de guerre, ce trafic portait pour une bonne part sur les approvisionnements en vivre et munitions des places menacées : de plus l'entretien des cours d'eau était nécessaire pour l'assainissement du pays, puisque l'on prévoyait que le débordement aurait inondé les terres limitrophes sur une espace de plus de cinq lieues.

 

 

XXII

 

 

Dernières tentatives et dépenses de la Ville de Saint-Omer pour remettre en état

le havre de Gravelines.

Décadence définitive de ce port.

 

            En 1678, après la paix de Nimègue, on songea naturellement à la réfection des travaux et écluses qui avaient été endommagées : les habitants du Bas-Artois furent tenus de payer la moitié de la dépense et taxés à 45 200 livres. ( Cf. Mémoire « à l'appui du recours de la Commission administrative de la 1ère Section des Wattringues du Pas-de-Calais, contre les arrêtés de 1858 et 1859 concernant le Mardick ». par A. Courtois, avocat. Saint-Omer. Fleury-Lemaire 1861. - Cf. aussi Bulletin de l'Union Faulconnier du 13 septembre 1903 p. 369 ).

 

            Sur ces entrefaites, la ville de Saint-Omer eut à soutenir un procès « entre Louis de Gomer, escuier, sieur d'Hinneville, estant aux droits du sieur Mayet, donataire du Roy appellant ». Louis de Gomer se trouvait substitué aux anciens droits des seigneurs de Gravelines - ( Après l'exécution, en 1475, du Connétable Louis de Luxembourg ses biens furent confisqués au profit du Roi de France, mais, au bout de quelques années, ils furent restitués à ses héritiers. Mais à Gravelines, la possession ne cessa de leur être contestée.

Sous Charles-Quint, Marie de Luxembourg procéda pour faire valoir ses droits à cette seigneurie. À sa mort, Antoine de Bourbon fut mis en possession des domaines de son aïeule, et confrmé, après la paix de Cateau-Cambrésis ( 1559 ) dans les domaines de Dunkerque, Bourbourg et Gravelines; mais on l'empêcha d'en jouir à cause de l'état de guerre entre la France et les Pays-Bas qui sévissait alors et se prolongea jusqu'à ce que Louis XIV se les eut annexés par la force des armes. - Cf. Union Faulconnier, Bulletin T VI fasc. I 31 mars 1903 ) - par brevet et lettres patentes du 31 mars 1683, et, en cette qualité, avait mis la Ville de Saint-Omer en demeure de réparer le havre ou canal de Gravelines. Sa demande avait été admise par le Conseil d'Artois qui, par sentence du 27 octobre 1684, avait condamné la Ville à faire les réparations nécessaires, faute de quoi le demandeur pourrait exercer le droit de retrait et réversion des Hems prévu par ses auteurs de 1441. La Ville tenta de parer à cette menace par une réplique que nous trouvons développée dans un « Factum pour les Maires et Eschevins  de  la  ville  de  Saint-Omer  contre Louis de Gomer, escuyer, sieur d'Hinneville » ( Bulletin de l'Union Faulconnier du 31 mars 1903 p. 13 ).

           

            Nous savons seulement que, par lettres du 5 octobre 1683 ( Archives de Saint-Omer. Registre parchemin fº 76 ), le Roi déclare que la ville sera déchargée des réparations de la digue du canal allant au Fort Philippe. Mais, pour le reste, nous ne connaissons pas la suite de la procédure, et, par conséquent, ce qui est résulté du procès. Peut-on supposer que c'est en vertu de cette injonction que la ville dépensa, pour une même année, vingt mille livres. ( De 1674 à 1679, la Ville n'a rien dépensé, ce qui s'explique par l'état de guerre où était le pays. De même en 1683, 1684, 1685, années correspondant à celles du procès.

 

            Dans l'intervalle nous trouvons les sommes suivantes : pour 1680, 1 211 livres; pour 1681, 1 153 livres; pour 1682, 2 506 livres.

 

            Enfin  pour 1686,   1 133 livres

                       pour 1687, 20 691 livres, 10 sols, 9 deniers

                       pour 1688, 14 103 livres,   6 sols, 6 deniers

                       pour 1689, 14 103 livres

                       pour 1690, 13 064 livres.

 

            Puis, l'on retombe à une moyenne approximative de 1 000 livres. ( Archives de Saint-Omer, 213, 14 ) pour sa part de réparations ?

 

            Toujours est-il que l'on se remettait sérieusement à l'ouvre pour remédier à l'ensablement et à l'envasement, mais, le 19 février 1699, une violente tempête venait rompre les écluses et la digue, ce qui ne fit qu'aggraver l'obstruction de la rivière.

 

            Il ne faut d'ailleurs pas oublier de signaler aussi que s'était manifestée l'intervention de Vauban, et que les travaux de fortification de Gravelines en 1680 - 1681 devaient avoir une répercussion sur la défense du pays contre l'inondation.

 

            Les fossés qui entourèrent les fortifications furent complétés par de vastes bassins qui recevaient les eaux de tous les terrains avoisinants et formaient eux-mêmes une protection.

 

            Les plans de Vauban avaient même été beaucoup plus vastes. N'avait-il pas entrevu le projet de faire de Gravelines un grand port de commerce ? Mais Louis XIV lui préféra Dunkerque. Il nous reste les lettres et le rapport que l'Ingénieur adressait au Roi; il rend compte de la visite qu'il a faite de la rivière « d'Ha », dont il a trouvé l'entretien défectueux, particulièrement en ce qui concerne « les fascinages qui conduisoient le courant de la rivière jusqu'à la mer ». ( Cf. Bulletin de l'Union Faulconnier du 13 mars 1903, p. 13 ).

 

            L'avortement de l'entreprise de réfection et le rejet du projet de Vauban furent pour la ville de Gravelines une double déception : et, pour consommer sa ruine, voici que l'on ouvrait, en 1682, le nouveau canal de Calais qui débouchait au Ruth. S'il apporta une nouvelle activité à la navigation sur l'Aa, en amont de ce lieu, ce ne pouvait être qu'au détriment du port de Gravelines, d'où le transit s'était complètement détourné, et pour cause, puisqu'il était devenu inaccessible aux navires de grande dimension. C'était également au détriment de l'ancienne voie qui, de Calais, passait par Marck, Oye et l'Écluse.

 

 

 

 

XXIII

 

 

 

La ville de Saint-Omer consent à se déporter de ses droits sur le haver de Gravelines

et de la possession des hems, à condition d'être dégagée de toute obligation d'entretien.

 

            Il faut arriver à 1721 pour voir surgir et aboutir une solution énergique et définitive qui pût assurer le rélèvement de ce port, solution qui fût menée à bonne fin sans être contrariée soit par des événements de guerre, soit par des perturbations d'ordre naturel.

 

            Cela ne se fit toutefois qu'en consacrant la déchéance, au profit du pouvoir royal, tant des droits que des obligations de la Ville de Saint-Omer.

 

            Le Magistrat de Gravelines exposait, dans un mémoire, que le Magistrat de Saint-Omer, par sa négligence d'entretenir le havre, avait causé la ruine de terres qui se sont trouvées submergées par de fréquentes inondations. Le Roi, à la suite de cette plainte, chargeait d'une enquête les Directeurs des fortifications de Flandre et Artois qui, après expertise, relatèrent, par procès-verbal, que le canal se trouvait presque entièrement comblé et que le seul moyen de remédier à un mal qui augmente tous les jours serait de changer le cours de la rivière pour l'orienter différemment. Sur quoi, le Magistrat de Gravelines aurait demandé que le Magistrat de Saint-Omer soit tenu de « déguerpir des terres et octrois qui lui ont été accordés pour l'entretien dudit port. »

 

            L'Intendant, M. de Chauvelin, fut chargé de communiquer ces plaintes au Magistrat de Saint-Omer « lequel auroit répondu qu'on pouvoit avec justice l'obliger à déguerpir des terres et octrois, pourvu qu'en même temps on le déchargeât de l'entretien dudit havre ».

 

            C'était vraiment là la solution souhaitable, et ceux de Saint-Omer ne pouvaient être plus conciliants. Ils auraient pu trouver plusieurs motifs de chicane. Ne pouvaient-ils pas invoquer dans les troubles des guerres une excuse suffisante au mauvais état du havre ? Ne pouvaient-ils justifier par leurs comptes que, depuis 1678, date de la réunion de leur ville à la Couronne de France, ils avaient dépensé de grosses sommes pour le seul entretien de la rivière  d'Aa ? Ne pouvaient-ils enfin prétendre qu'on ne pouvait les forcer  de se déporter de leurs droits  sur les hems et le havre de Gravelines qu'en appliquant la clause de « réversion » prévue dans la concession de 1441 au cas où « le havre se rompit on advint en non valloir » ?

Or, en ce cas, la Ville avait droit au remboursement des sommes avancées pour l'acquisition des Hems.

 

            L'esprit de conciliation des Audomarois fut apprécié en haut lieu, car, le 8 juillet 1721, intervenait un arrêt du Conseil d'État  ( Archives de  Saint-Omer. 213, 15 ) qui consacrait  l'acquiescement  en  question  et  édictait  « que  du  jour de  la signature d'iceluy ( arrest ) il ( le Magistrat  de Saint-Omer ) sera tenu de déguerpir tant desd. terres ou hemps et de deux octrois sur barques qui naviguent dans la rivière d'Aa, moyennant quoi le Magistrat de Saint-Omer demeurera valablement déchargé etc ..., ordonnant, au surplus, ledit arrest, la vente desdites terres et octrois pour les deniers en provenant être employé(s) à la construction d'un nouveau canal ». ( ... « la vente et adjudication desdites terres et octrois sera incessament faite au plus offrant et dernier enchérisseur pour les deniers en provenant estre employez à la construction d'un nouveau canal de treize cens toises de longueur sur quatre toises de largeur d'une rive à l'autre et de dix pieds de profondeur commençant près de l'Écluse et finissant à la Basse Mer proche du fort Philippe, à condition néantmoins que toute la dépense du canal n'excédra point le montant de la vente desdites terres et octrois. Veut sa  Majesté que le surplus, si aucun y a, soit employé à faciner le nouveau canal, enjoint au sieur intendant et commisssaire de party dans la province de Flandre de tenir la main à l'exécution du présent arrest  quy  sera  exécuté  nonobstant oppositions ou autres  empeschemens  quelconques ... ».

( Arrêt du Parlement du 8 juillet 1721. Archives de Saint-Omer. 213, 15 ).

            D'une note jointe à la relation de ces pourparlers, ( Archives de Saint-Omer. 213, 15. - V. aussi Bulletin de l'Union Faulconnier du 31 mars 1903 p. 21 ) il résulterait que plusieurs lettres missives montrent le Magistrat de Saint-Omer faisant après coup plusieurs tentatives pour rentrer en propriété des hems, alléguant que le susdit arrêt aurait été rendu par surprise. Mais cette opposition tardive ne fut pas admise : le résultat de l'acquiescement définitif demeure bien acquis et les travaux nécessaires, entrepris aux frais de l'État, furent exécutés sans retard : le chenal actuel, formant le débouché de la rivière, fut creusé, on construisit une écluse de chasse, etc, etc ...

 

            Désormais, l'intervention de la ville de Saint-Omer dans l'aménagement et les travaux du port de Gravelines a cessé : il n'entre pas dans le cadre de cette étude de poursuivre l'historique de ce port au-delà de cette date, cela a été fait ailleurs; mais, pour toute la période antérieure, l'ensemble du rôle qu' a rempli notre Ville méritait d'être étudié, dégagé même de l'histoire de la ville de Gravelines avec qui elle devait avoir, de ce fait, des relations et même des frottements constants. Il y a là, pour l'histoire économique de la Ville de Saint-Omer, un chapitre qui ne doit pas être négligé.

 

 

 

 

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